BRUXELLES / BELGIQUE
Les Musées royaux des beaux-arts de Belgique tracent sans grande conviction les influences réciproques entre les deux capitales de 1912 à 1932.
Bruxelles. Berlin nourrit tous les fantasmes. Surtout ceux des historiens de l’art intéressés par les premières décennies du XXe siècle. Durant cette période, la ville, qui connaît un essor considérable, détrône progressivement Paris et devient le prototype de la métropole du futur telle que l’imaginera Fritz Lang dans Metropolis. Mythe ou réalité, représentée par les artistes, c’est une ville tentaculaire, symbole de tous les excès et qui figure durant les années 1920 le « spleen des métropoles modernes ».
Ambitieuse, la manifestation bruxelloise propose au spectateur à la fois des images de Berlin et un riche échantillon de la foisonnante production plastique – peinture, sculpture, architecture, photographie – que l’on peut y trouver. Espace « naturel » de la modernité, la ville reste le lieu le plus propice à la formation et au développement de groupes d’artistes d’avant-garde. L’importance et la variété des médias grâce auxquels peuvent s’exprimer les créateurs, la concentration d’une population cosmopolite font de la ville un melting-pot universel qui défie les barrières culturelles.
Loin d’être la première exposition sur ce thème, celle-ci adopte un angle très original choisi par Inga Rossi-Schrimpf, commissaire à Bruxelles, qui est de montrer Berlin à travers le regard du spectateur belge. Les échanges entre les deux pays, sont toutefois limités et déséquilibrés. « Les Belges ne jouent qu’un rôle subalterne dans le Berlin des années 1920 », écrit-elle. En revanche, on découvre que, malgré les souvenirs amers de l’occupation récente, des œuvres d’artistes allemands, surtout les gravures expressionnistes, sont visibles en Belgique. Le moteur principal à l’origine de ces allers-retours est Herwarth Walden, le fondateur de la revue Der Sturm et dont la galerie du même nom fut le lieu de rencontre principal de l’avant-garde internationale.
Ainsi, même si l’on peut voir ici quelques artistes « locaux », comme l’œuvre constructiviste de Pierre-Louis Flouquet – Composition n° 37 (1925) – ou les dessins de Frans Masereel, dont la formidable Ville en Folie (1921) est un cri désespéré contre l’urbanisme galopant, le parcours reste essentiellement allemand. À l’aide d’un accrochage élégant et aéré, on passe de l’« Avant-Garde urbaine et la guerre » à « Révolution et utopie », du « Nouveau Monde, Nouvel Art » au « Mythos Berlin » pour terminer avec « La crise ». Le spectateur, qui a droit également aux sous-chapitres – « Dada », « En provenance de l’Est », « Symphonie de la grande ville », « Splendeur et Misère » ou encore « L’Autre Modernité » – est certes séduit par la qualité des prêts, comme l’exceptionnel Bruit nocturne (Georg Scholtz, 1919) [voir illustration ci-dessus], mais il reste un peu désemparé. La raison est double : d’une part, la volonté de mettre en scène un panorama trop vaste, dont chaque composant mériterait une exposition ; d’autre part, une absence de panneaux pédagogiques. En somme, si le plaisir visuel est très stimulant, l’ensemble hérite, au moins en partie, du caractère chaotique de la ville. Faut-il y voir un rappel de l’esthétique du collage que pratiqua Dada ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Berlin vue de Bruxelles