Auteur de Vathek, William Beckford (1760-1844) a donné naissance à un nouveau genre, le roman gothique, promis à une belle fortune au XIXe siècle. Cette atmosphère imprégnait également sa demeure de Fonthill Abbey, peuplée de centaines d’objets d’art aux origines les plus diverses, qu’une exposition évoque à la Dulwich.
Londres - Après avoir visité l’exposition de prévente de la collection Beckford, en vue de l’adjudication, finalement annulée, le critique William Hazlitt avait qualifié Fonthill Abbey de “cathédrale transformée en boutique de jouets, un immense musée fourre-tout des plus curieux et onéreux, construit pour gratifier le sens de la propriété de son tenancier et pour exciter la curiosité de l’étranger”. Et de conclure : “L’unique preuve de goût [de Beckford] aura été de s’en débarrasser.” Effectivement, l’énumération des œuvres de Fonthill tient de l’inventaire à la Prévert. De la vaisselle de pierre dure et des objets de vertu, des laques japonais, des jades moghols, des porcelaines montées, des bronzes et du mobilier Boulle, des peintures de maîtres anciens, des dessins et des estampes, ainsi qu’une somptueuse bibliothèque, envahissaient la célèbre folie gothique de Beckford, Fonthill Abbey dans le Wiltshire. Une demeure qui aurait inspiré Barry pour le palais de Westminster. Malheureusement, la tour de Fonthill, haute de 84 mètres, s’est effondrée. Au bord de la ruine, Beckford avait dû se résoudre à disperser ses biens.
On peut aujourd’hui visiter la tour néoclassique qu’il a érigée à Bath (restaurée récemment grâce au Beckford Tower Trust), ou contempler des fragments de l’héritage de son gendre à Brodick Castle, mais seule l’exposition de la Dulwich Picture Gallery permet d’imaginer les richesses qu’il avait amassées. Une sélection de 160 objets évoque l’extravagance et la variété des goûts de Beckford. “On a beaucoup écrit sur les efforts littéraires de Beckford et sur sa vie à scandale, mais personne ne s’est jamais réellement intéressé à ses collections, remarque Phillip Hewatt-Jaboor, commissaire de l’exposition avec l’historien de l’art Bet McLeod. Cette exposition a pour propos d’observer les œuvres d’art et de les laisser s’exprimer elles-mêmes.”
Tous les styles, toutes les époques, toutes les latitudes se rencontrent au sein de cette collection, dont les objets étaient présentés dans des décors commandés aux meilleurs artisans anglais et français, et souvent réalisés à partir de dessins choisis par Beckford en personne, ou par son compagnon Gregorio Franchi. Parmi ces œuvres, on trouve par exemple une aiguière syrienne du XIIIe siècle, à décor lustré, représentant des joueurs de polo – pièce rare qui s’est vendue 3,3 millions de livres chez Christie’s Londres en décembre dernier – ; un reliquaire limousin du XIIe siècle, en émail champ-levé, l’un des nombreux objets liturgiques acquis par Beckford lors de la dispersion des biens confisqués pendant la Révolution française ; ou encore une coupe maniériste du XVIe siècle du Maître de Nuremberg, Veit Moringer, incrustée de pierres précieuses. Entre autres curiosités, signalons encore le vase de narguilé en jade indien du XVIIIe siècle avec des montures en plaqué argent, décorées de pierres précieuses, réalisées par James Aldridge (un objet fantaisie qui aurait appartenu à la collection du vainqueur des Britanniques dans la province de Mysore en Inde, Tippu Sultan), et la grande commode en ébène de Charlecote Park, avec des incrustations de pietra dura et de marbre, exécutée vers 1815. S’ajoutent également à cet ensemble certaines des 435 pièces du service de Meissen ayant appartenu à Guillaume V de Hollande, des aquarelles de Font-hill commandées à Turner, un coffret baroque italien en laque avec des incrustations de cristal et la théière en or massif réalisée pour Beckford par Robert Sharp et Daniel Smith, arborant les armoiries du mécène – un héron tenant un poisson dans son bec, accompagné de l’inscription “bec fort”, à l’allusion humoristique. Non content d’avoir lancé le goût pour les tableaux gothiques, néoclassiques et la grande peinture italienne, Beckford préfigure l’éclectisme associé à l’époque victorienne. Par ailleurs, l’exposition se distingue par son catalogue magistral (Yale University Press), conçu par Derek Ostergard. Il comprend 16 essais, dont des études consacrées aux demeures et aux tours de Beckford, à ses jardins paysagers, à ses voyages en Suisse, au Portugal et à Paris, à sa vie à Londres et à Bath, et à ses goûts, accompagnées de notices détaillées pour chacun des objets. David Watkin rapproche Beckford de deux de ses contemporains excentriques, John Soane et Thomas Hope, qui, tout comme lui, ont consacré leur fortune à la conception et à l’aménagement de grandes demeures-musées.
- William Beckford, 1760-1844 : Un œil pour le magnifique, du 6 février au 14 avril, Dulwich Picture Gallery, Gallery Road, Dulwich Village, Londres, tél. 44 208 693 52 54, tlj sauf lundi 10h-17h.
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Beckford, l’éclectique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Beckford, l’éclectique