L’artiste américaine, accueillie aux Serpentine Galleries, se livre à une critique féroce de la société de consommation.
Londres (Grande-Bretagne). « I Shop Therefore I am » (J’achète donc je suis). C’est sur ce détournement de la citation de René Descartes que s’ouvre l’exposition de Barbara Kruger (née en 1945), à la Serpentine South de Londres. Le message apparaît dans un énorme encart rouge tenu entre les doigts d’une main grise, comme un coup de poing au milieu de la figure [voir ill.]. L’effet est renforcé par des bruits métalliques qui viennent d’une autre salle. Puis l’œuvre se décompose en pièces de puzzle avant de se rassembler. Le message se transforme ensuite en une succession d’anaphores : « J’ai besoin, donc j’achète », « J’aime donc j’ai besoin », « Je meurs donc j’étais ».
Cette image est une reprise d’Untilted (I shop therefore I am), créé en 1987 par l’artiste américaine. C’est là l’un des principes de « Thinking of You. I mean Me. I mean you », une adaptation de l’exposition au Art Institut of Chicago de 2021. Barbara Kruger y présente ses œuvres clés revisitées à l’aide d’installations vidéo et des technologies digitales, qui n’existaient pas à l’époque de leur création. Mais son thème de prédilection reste le même : le langage, le pouvoir des mots, leur détournement par les industries de la publicité et les médias de masse, un domaine parfaitement maîtrisé par cette ancienne graphiste. « Ce serait formidable si mon travail devenait archaïque, si les questions qu’il tente de présenter, le commentaire que j’essaie de suggérer n’étaient plus pertinents, déclare l’artiste. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour l’instant. »
Tapissée de photomontages en noir et blanc, surlignés de rouge, la première salle plonge le visiteur de façon brutale dans l’univers réinventé de Barbara Kruger. La visite est rythmée par d’autres bruitages de caisses de supermarché et de coup de batteries, comme pour conclure un numéro de cirque. À intervalles réguliers, une voix neutre salue dans l’entrée : « Hello », « Hello ». Et dans la dernière salle, elle murmure « I love you ». Répétés par la même voix blanche, les mots en finissent par perdre leur sens. Les sons se poursuivent au-delà de la galerie, dans la bibliothèque et jusqu’aux toilettes. Ils restent ensuite dans le crâne, de même que les milliers de messages qui assaillent le long du parcours.
Au centre de la Serpentine South, Untitled (No Comment), réalisée en 2020, relate cette fois les pérégrinations plus récentes de Barbara Kruger sur TikTok et autres réseaux sociaux. Composée de trois écrans qui tapissent les murs de la salle, l’œuvre zappe d’une image tirée d’Internet à une autre : un chat, des tutoriels de coiffure, des selfies, Donal Trump… Des citations se superposent à ces images, puis les remplacent avant d’être remplacées à leur tour par d’autres citations. L’expérience, immersive, rend mal à l’aise tellement elle occupe notre espace mental et nous renvoie à nos propres errances sur le Net. « L’œuvre de Barbara est un commentaire, précise Hans Ulrich Obrist, co-directeur des Serpentines Galleries. Elle textualise, visualise et musicalise l’expérience que nous avons du monde et de nos relations aux autres, mais à un niveau très littéral. »
L’ensemble de la galerie fonctionne ainsi comme une œuvre d’art totale – une nouveauté chez Barbara Kruger. Les différentes installations se répondent avec, au centre des préoccupations, la critique toujours acerbe de la culture contemporaine.
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Barbara Kruger, mots pour mots
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Barbara Kruger, mots pour mots