SUISSE
Si les deux facettes de Jean Dubuffet (l’artiste et le promoteur de l’art en marge) sont connues, il est rare qu’elles soient mises aussi subtilement en dialogue que dans cette exposition, quelque peu retravaillée par rapport à sa première présentation au MuCEM en 2019.
Écrits, peintures et installations sculpturales de Dubuffet s’entremêlent avec des œuvres (objets rituels ou folkloriques venus d’Europe et du monde entier, dessins d’internés des hôpitaux psychiatriques) qui l’ont, non pas inspiré pour sa propre pratique artistique, mais qui ont élargi son regard. Cet exercice du regard prend tout particulièrement son sens dans le lieu même de l’exposition, le Musée d’ethnographie de Genève, que Dubuffet avait visité en juillet 1945. Ce voyage en Suisse est d’une importance capitale pour l’artiste français, qui y découvre les masques de carnaval du Lötschental, ainsi que les productions d’Aloïse et de Wölfli grâce à l’entremise d’ethnologues et de psychiatres éclairés (le Dr Morgenthaler de Berne ou le Dr Ladame de Genève, premiers collectionneurs de l’« art des fous »). Sa remise en question du « primitivisme » en art, qui le mènera jusqu’à la théorisation de l’Art brut, était en marche. La section centrale du parcours, qui a été conçue à partir de la riche documentation de Dubuffet sur le mode d’un cabinet de curiosités mettant en scène perles rares du MEG comme de la propre collection de l’artiste aujourd’hui hébergée à Lausanne, est sans nul doute le point d’orgue de la démonstration.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Aux sources de l’art brut en Suisse