En un parcours monumental qui doit se visiter comme un « essai visuel », Harald Szeemann transforme l’histoire en matériau d’une création qui fait de l’Autriche un discours imaginaire mêlant tous les domaines de l’activité culturelle.
BRUXELLES - Dès le titre, “Austria im Rosennetz”, le ton est donné. Derrière l’allusion au roman de Fritz von Herzmanovsky-Orlando (Der Gaulschreck im Rosennetz) se déploie un essai complexe qui entend visualiser l’idée latente dans le roman, où un fonctionnaire des Habsbourg se débat dans les rets d’une cantatrice, esquissant l’image d’un buisson épineux, beau mais dangereux, doux mais kitsch…
Force est de reconnaître que le buisson est épineux. À partir des quelque 900 pièces exposées, Harald Szeemann visite 150 ans de l’histoire de l’Autriche, comme il avait révélé en 1992 sa conception de la Suisse visionnaire à Madrid. De prime abord, le propos paraîtra confus, puisqu’il s’agit moins d’une lecture historique que d’une réflexion poétique et critique liant la créativité spécifique d’une nation à l’identité que celle-ci s’est forgée à travers une démarche de nature historiciste. Celle-ci fait florès ces dernières années avec les commémorations de la Vienne fin de siècle. Les grandes rétrospectives consacrées à Schiele, Klimt, Freud, Wittgenstein ou Kraus, et les vastes panoramas tels que “Wien um 1900, Experiment Weltuntergang” ou “L’Apocalypse joyeuse” sont sans cesse sollicités tout au long de l’exposition, comme autant de références à un imaginaire qui s’est constitué en histoire. Légitimé, ce passé est ainsi investi par Szeemann, qui le détourne pour en faire la matière d’une création – du commissariat d’exposition comme mode d’expression créateur – projetant l’art du passé dans un avenir in progress. Original, le projet l’est sans conteste. La pluridisciplinarité règne dans une succession d’installations qui mêlent tous les registres de la vie culturelle. Makart voisine avec Hermann Nitsch, Arnulf Rainer retrouve les bronzes de Messerschmidt, Kokoschka rejoint Schönberg, tandis que l’architecture de Hoffmann se prolonge dans certains films de von Stroheim.
Fascinante dans son intention, l’exposition n’en souffre pas moins d’un hermétisme sans doute moins flagrant pour le public du Museum für Angewandte Kunst de Vienne, où l’exposition a été créée à l’automne 1996. Les citations, les allusions, les références, et même l’articulation générale de la manifestation – avec des “chapitres visuels” intitulés “Que l’homme me soit plus proche”, “Anche la morte c’è” ou “Père/Fils : criminalistique et utopie” – apparaîtront d’autant plus obscurs qu’aucun texte explicatif n’accompagne la présentation. L’effet chaotique (recherché) agacera sans aucun doute ceux qui viennent pour comprendre. La découverte reste néanmoins possible. Elle demande un effort important : lire l’épais et passionnant essai qui accompagne la manifestation. Là, le propos s’éclaire et les rapprochements prennent sens. Comme le signale Harald Szeemann lui-même, “il n’y a en Europe que trois pays que l’on puisse traiter de “visionnaires” : la Suisse, l’Autriche et… la Belgique”. Tout un programme.
AUSTRIA IM ROSENNETZ. L’AUTRICHE VISIONNAIRE, jusqu’au 12 juillet, Palais des Beaux-Arts, 23 rue RavenÂstein, Bruxelles, tél. 32 2 507 84 68, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue en français et néerlandais, 1 200 FB.
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Autriche, année zéro
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : Autriche, année zéro