Manifeste du groupe des Automatistes lancé à Montréal en 1948, Refus global n’a connu qu’une notoriété locale. Mais il a contribué à l’internationalisation de la scène québécoise.
Dans les années 1940, il y avait à l’École du meuble de Montréal un professeur du nom de Paul-Émile Borduas qui était très attentif à ses élèves et qui exerçait sur eux un certain ascendant. En permanence, il les enjoignait à gagner leur liberté et à se départir du carcan de la société franco-canadienne de l’époque qu’il jugeait par trop arriérée et en marge de l’Histoire. Inscrit dans cette école entre 1943 et 1945, Jean-Paul Riopelle compte parmi ses élèves et réalise sous sa tutelle ses premières œuvres abstraites. Avec quelques camarades, il travaille dans un vieux hangar à Montréal, Borduas s’imposant très vite comme leur maître à penser.
Le manifeste « Refus global »
Partageant tous le même intérêt pour une forme d’expression sans idée préconçue dans la foulée du surréalisme, ils constituent un groupe qui ne tardera pas à être appelé les Automatistes. Outre Borduas et Riopelle, les frères Gauvreau, Marcelle Ferron et Fernand Leduc en sont les principaux protagonistes.
Pour eux, la peinture est plus une expérience plastique qu’un moyen d’illustration ; aussi se sentent-ils plus proches du surréalisme abstrait d’un Miró ou d’un Masson que de celui de Dali, davantage onirique. Après quelques expositions collectives en 1946 et 1947, Paul-Émile Borduas rédige un texte manifeste qui les conforte d’une pensée théorique, mais qui ne connaît guère qu’un succès d’estime limité à la seule communauté artistique québécoise.
Intitulé le Refus global, ce texte d’une quinzaine de pages se veut le cri de ralliement d’une génération en bute contre l’héritage traditionaliste, conservateur et moralisateur qui leur a été légué par leurs aînés. Si Jean-Paul Riopelle s’impose dès lors comme le fer de lance du groupe, c’est qu’il est le premier à le signer, entraînant à sa suite ses camarades. C’est aussi parce qu’il a compris très tôt la nécessité d’aller voir ailleurs ce qui se passe, de manière à nourrir son travail des expériences engagées ici et là dans les différents foyers artistiques internationaux.
Le droit d’exister différemment
Lancé à la librairie Henri Tranquille le 9 août 1948, à Montréal, le manifeste des Automatistes comporte non seulement la préface au titre éponyme de Borduas mais un certain nombre d’autres textes dont la teneur pamphlétaire en augmente le ton revendicateur. À Riopelle revient l’illustration de couverture dont le graphisme abstrait teinté de couleur colérique est croisé sur le plat de la publication des mots de « Refus global » d’un côté, de ceux de « sens, sensible, passion » de l’autre.Violemment critique à l’égard tant de la droite catholique que de la gauche communiste, le manifeste de Borduas expose clairement les termes du devoir des signataires : « Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire (…) Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON (…) Place à la magie ! Place aux mystères objectifs ! » Bref, il proclame « l’anarchie resplendissante » comme seule issue politique décente aux maux de l’époque.
Les signataires s’élèvent surtout contre le modèle esthétique dominant et la perception des gens face à leur profession d’artistes. Ils se rebellent contre l’enseignement conventionnel prodigué à l’École des beaux-arts que Riopelle avait tôt fait de déserter pour rejoindre celle du meuble. Réunis autour de Borduas, les Automatistes se sentent ainsi plus forts. L’absence à Montréal de toute structure constituée favorable à l’art contemporain est la raison profonde de leur existence, de même que leur raccrochage au surréalisme et la façon dont ils s’appliquent à se brancher sur Paris et New York. Simple question de survie.
Si le manifeste a pu être perçu par une certaine élite en place comme une gifle à son endroit, il n’a pas produit plus d’effet qu’un pétard mouillé. La faute en revient pour l’essentiel au fait que la liberté dont rêvent les membres du groupe est fondamentalement plus individuelle que collective. Ils ne cherchent pas à faire séparation de quoi que ce soit par rapport à une situation qui n’existe pas, mais revendiquent tout simplement le droit d’exister, le droit de faire l’art qui leur convient et dont ils savent qu’il est promis d’avenir.
En souscrivant au Refus global, Jean-Paul Riopelle sait tout aussi bien ce que cela peut lui apporter que les limites dans lesquelles il risque d’être enfermé. Bien plus que de le servir dans son propre pays, dans l’immédiat du moins, le fait d’avoir participé à l’aventure de ce groupe lui a permis d’aller plus facilement à la rencontre des surréalistes et de leurs épigones, que ce soit à Paris ou à New York et, partant, de faire sa place sur la scène internationale. Si l’on ajoute à cela ses qualités de peintre et sa forte personnalité, Riopelle, qui s’est construit une solide carrière, a contribué en retour à l’historicisation du mouvement.
1923 Jean-Paul Riopelle naît à Montréal. 1941-1942 Étudiant à l’École polytechnique de Montréal, il emploie son temps libre à dessiner. 1942-1945 À l’École du Meuble, Riopelle réalise ses premières œuvres abstraites et intègre le groupe des Automatistes. 1948 Installation à Paris. Il devient l’un des représentants de l’abstraction lyrique. 1963 Réalisée pour l'aéroport de Toronto, Point de rencontre, sa plus grande toile (4,26 x 5,49 m) est maintenant visible à l’Opéra-Bastille de Paris. 1973 Voyage en Arctique. 1980 Création de la fondation Riopelle. 2002 Décède dans son manoir sur l’île aux Grues, près de Montmagny.
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Automatistes
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Riopelle un artiste canadien » jusqu’au 4 février 2007. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille VIe. Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h, fermé le lundi et les jours fériés. Tarifs : 3 et 1,50 €. Tél. 04 91 54 77 75, www.marseille.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Automatistes