PARIS
L’exposition « Aux frontières de l’humain » associe différents partis pris scénographiques dans un parcours qui, s’il manque parfois de liant, n’est pas dénué d’originalité.
Paris. Positionné comme « musée de société » depuis sa réouverture en 2015, le Musée de l’Homme, au large visitorat, entend apporter aux grands débats de son temps des réponses mesurées, scientifiques et pluridisciplinaires. Après avoir traité le racisme, l’alimentation ou les origines de l’humanité sous la forme d’expositions temporaires, le musée s’attelle cet automne à la question des limites de l’humanité. « Aux frontières de l’humain » propose un parcours fortement séquencé, qui se visite presque comme six expositions en une.
Les frontières qui séparent l’homme des autres animaux, celles dont l’être humain souhaite s’affranchir par la performance, le transhumanisme ou la génétique, et celles bien réelles auxquelles l’humanité se frotte en déréglant son environnement : l’exposition du Musée de l’Homme ne tranche pas entre ces différentes thématiques. Leur traitement dans le parcours est supervisé par autant de conseillers scientifiques. À chacune de ces séquences, les muséographes du Musée de l’Homme (un service intégré au musée, ce qui est assez rare pour être souligné) associent une ambiance et une scénographie particulière, explorant des solutions de médiation parfois innovantes.
Le recours à des œuvres d’art contemporain est l’un des atouts de ce parcours, un outil de mise en scène et de médiation désormais assimilé par les musées de société. L’ouverture de l’exposition sur l’œuvre de Samuel Yal réalisée pour l’occasion, et intitulée Quadrum [voir ill.], définit ainsi les termes du débat de manière poétique, laissant entrevoir une figure humaine dans un kaléidoscope de plaques d’argile suspendues. Plus loin, c’est une sculpture hyperréaliste de l’artiste australienne Patricia Piccinini qui invite les visiteurs à entrer dans une séquence consacrée aux modifications du génome. Représentant une femme qui tient dans ses bras un nouveau-né aussi monstrueux qu’attendrissant, l’œuvre mène naturellement aux questionnements relatifs à l’utilisation des biotechnologies.
Dans cette même section, le sujet est traité dans sa quasi-intégralité par un jeu multimédia grâce auquel le visiteur commande à la société Perfect Baby Company l’enfant de ses rêves. Un outil de médiation dérangeant et ludique, qui illustre les objectifs du Musée de l’Homme : interpeller le visiteur et lui fournir des pistes de réflexion dans les débats de société. On peut alors regretter qu’ailleurs l’information soit plus classiquement traitée par des supports vidéo, parfois trop nombreux. La mise au point de scénarios spécialement interprétés par une troupe de comédiens pour l’exposition est, lui, plus rafraîchissant : deux séquences humoristiques abordent ainsi les enjeux du statut de l’animal ou des frontières de l’immortalité.
Avec cette exposition, le Musée de l’Homme joue bien son rôle, rappelant les limites du débat : la frontière de l’immortalité, que visent certains milliardaires, est ramenée à son état de fantasme, et les limites physiques de notre planète sont ici dépourvues de leurs atours hollywoodiens. Mais le large spectre des sujets traités, allant des performances sportives (partenariat avec l’Insep oblige) aux cyborgs, en passant par la sixième extinction de masse, dilue quelque peu la force des messages.
Le catalogue de l’exposition se présente sous la forme d’un magazine : une bonne manière d’envisager le parcours qui, comme une revue, traite d’un sujet en variant les angles et les formats, alterne séquences légères et passages densément documentés… au risque parfois de se voir feuilleté.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°577 du 12 novembre 2021, avec le titre suivant : Au Musée de l’Homme, une humanité kaléidoscopique