En présentant l’œuvre tardive de Claude Monet au regard d’artistes modernes et contemporains, la Fondation Beyeler, à Bâle (Suisse), évoque l’influence qu’exerça l’auteur des Nymphéas. Évitant soigneusement la comparaison systématique des œuvres, le parcours présente, dans un premier temps, les travaux de Monet des années 1890 à 1920, puis ceux des peintres de l’après-Seconde Guerre mondiale, et s’achève avec des installations et des vidéos récentes.
BÂLE - “On devine la totalité du jardin dans la simple vue de l’eau et des plantes. On sent la vie sous-marine au fond du bassin ; la croissance épaisse des racines ; l’entrelacement des tiges dont les fleurs, amassées à la surface, ne sont que l’extrémité. Monet ne réussira jamais à se suffire du motif, car sa force le poussera toujours au-delà”, écrivait déjà le poète Émile Verhaeren après avoir découvert une série de Nymphéas chez Durand-Ruel, en 1900. La Fondation Beyeler s’intéresse à cet “au-delà”, et se penche sur l’influence des conquêtes picturales de l’Impressionnisme sur les artistes de la deuxième moitié du XXe siècle. Dans une première section, l’œuvre tardive de Monet est mise en exergue, des différentes représentations de la Cathédrale de Rouen (1892-1893) aux nombreuses séries des Nymphéas réalisées dans son jardin de Giverny, dont l’aboutissement est La Grande Décoration, installée à l’Orangerie, à Paris. Dépourvus d’horizon, quasiment abstraits, libérés du motif et d’une vision conventionnelle de l’espace, Bassin aux nymphéas (1917-1920) fait face au Bassin aux nymphéas, le soir (1916-1922), avant que n’apparaissent les premières toiles de Sam Francis et André Masson, auteur de la célèbre formule “chapelle Sixtine de l’Impressionnisme” pour qualifier l’Orangerie. Le choix de la monumentalité et la conscience, chez Jackson Pollock, que la peinture doit dépasser les limites du tableau, l’énergie de la lumière chez Riopelle ou la création de l’espace par le biais de la couleur chez Rothko, découleraient de l’œuvre de Monet. Ce procédé comparatif n’a rien de nouveau puisque déjà, en octobre 1992, le Musée d’Orsay consacrait une exposition aux Nymphéas et à leur influence chez des artistes comme Pollock ou Joan Mitchell. Si la présence de certains tableaux semble évidente – c’est le cas des Cathédrales réinterprétées par Roy Lichtenstein, en 1969, ou du Tableau vert réalisé par Ellsworth Kelly, en 1952, le lendemain de sa visite à Giverny –, le choix des œuvres est loin d’être exhaustif. Certains rapprochements, avec Dubuffet, Tàpies ou Jasper Johns, par exemple, paraissent légèrement décalés, voire saugrenus. “L’exposition ne prétend pas édicter une nouvelle histoire de l’art, explique Ernst Beyeler, mais elle ouvre des portes, proposant différentes voies pour accéder à l’art abstrait, aux créations contemporaines.”
“Impressionnisme numérique”
Entièrement dévolu à l’art contemporain, le sous-sol réunit des œuvres qualifiées d’“Impressionnisme numérique”. Inventé pour l’occasion, ce terme désigne le prolongement de la peinture par d’autres moyens, telle la vidéo : le scintillement du téléviseur rappellerait la gamme chromatique lumineuse de Monet, tandis que la projection vidéo réaliserait l’idée, sous-jacente à la Grande Décoration, d’envahir totalement l’espace. La vision des Nymphéas pourrait ainsi avoir trouvé son aboutissement dans les nouveaux supports de l’image ; un concept discutable, mais qui a le mérite d’éveiller le regard. Le circuit commence avec les variations sur le blanc, réalisées par Robert Ryman dans les années 1960, placées aux côtés du paysage hivernal de Matin brumeux, débâcle peint par Monet en 1893. Chez les deux artistes, le blanc est le support privilégié pour étudier la lumière et la matière. Les visiteurs découvrent ensuite une série d’écrans vidéo, dont les pixels suggèrent les taches colorées des toiles impressionnistes. Shigeko Kubota, Nam June Paik ou Keith Sonnier y livrent chacun leur perception de l’espace. Dans l’installation vidéo Sip My Ocean (1996), présenté à l’Arc, à Paris, en 1999, Pipilotti Rist se met en scène et improvise une danse aquatique au rythme de Wicked Games de Chris Isaak, une mélodie audible depuis l’entrée du sous-sol et qui se fait plus forte au fur et à mesure du parcours. L’artiste aborde le rêve universel de la “fusion du Moi et du cosmos”, déjà annoncée par les surfaces aquatiques de Monet... Plus évident, le travail de Diana Thater dévoile, dans une salle inondée de lumière artificielle, des images du jardin de Giverny, filmé au ralenti, en gros plan ou en contre-plongée ; une multitude de points de vue qui finissent par nous faire perdre pied.
- CLAUDE MONET... JUSQU’À L’IMPRESSIONNISME NUMÉRIQUE, jusqu’au 4 août, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Bâle, Suisse, tél. 41 61 645 97 00, tlj 9h-20h. Catalogue éditions Prestel, 59 FS (40,30 euros), 250 p. Lire aussi : Virginia Spate, Claude Monet – La couleur du temps, éditions Thames & Hudson, 2001, 348 p., 40 euros.
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Au-delà de la peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : Au-delà de la peinture