Malgré l’évolution hardie de Mondrian vers l’abstraction, ses toiles dénotent la permanence d’un thème obsédant : la nature. De l’art de passer insensiblement du pommier au rectangle...
Quel rapport entre une forêt foisonnante et le réseau noir des années 1920 ? Entre un chrysanthème de 1899 et les trames colorées nées quelque vingt années plus tard ? Aucun, eût-on dit en
l’absence de l’exceptionnelle réunion de chefs-d’œuvre sise au Museum Ludwig de Cologne. Car, à la suite de l’exposition magistrale du musée d’Orsay en 2002, on sait la cohérence logique unissant ces toiles savantes et aucunement antithétiques. Aussi, le parcours de Piet Mondrian peut-il passer pour une équation rationnelle et déductive dont le dénominateur commun ne serait autre que la nature.
Vers 1905, les arbres deviennent des squelettes pathétiques
Chez le peintre hollandais, éduqué visuellement par Ruysdael ou Claesz, la Nature est majuscule. Loin de n’être qu’un réservoir susceptible de délasser le pinceau, elle invite à véhiculer un sentiment, qu’il soit tragique, mélancolique, exalté ou désenchanté. Par conséquent, les fleurs et les vues bucoliques des débuts trahissent déjà une propension immodérée à transgresser un sujet prétendument anodin.
Vers 1905, sous la double impulsion des esthétiques symboliste et expressionniste, les arbres peints par Mondrian deviennent des squelettes pathétiques ou des déploiements colorés stridents, alors que les ciels s’enflamment de pigments surréels. Artificier intrépide, l’artiste n’en épure pas moins les formes empâtées du début qu’il traite désormais en aplats jusqu’à ce que transpire l’implacable destin géométrique qui les attend.
De la peinture de paysage à la « connaissance de l’occulte »
Afin de percer les arcanes de la nature et de « parvenir à la connaissance de l’occulte », Mondrian recourt à la théosophie. L’Essence universelle ne devient accessible que par une dématérialisation du réel qui assigne aux formes primitives et aux couleurs primaires une signification ésotérique capable de traduire l’harmonie du monde.
Ses compositions abstraites interrogent ainsi, sous une économie formelle parfois austère, la dynamique optique et chromatique à l’œuvre dans une nature non plus vue, mais vécue de « manière consciente et non calculée ». Le destin d’un motif – nuage, pétale ou soleil – suffirait
seul à désigner cet extraordinaire processus d’abstraction chez l’un des plus grands paysagistes du XXe siècle, recalé deux fois au prix de Rome pour n’avoir su peindre la figure humaine...
La série permet de dépasser le sujet.
De nombreuses séries témoignent d’une investigation obsédée du
motif qui, à force de variations, lui permet d’excéder le sujet pour se concentrer sur des jeux purement plastiques. Le leitmotiv devient une gageure pour créer des dissonances et explorer, comme dans sa série des phares en 1909, le pouvoir roboratif de la couleur ou de la ligne.
Le cubisme, une impulsion décisive sur le chemin de l’abstraction.
Dès son arrivée à Paris, Piet Mondrian assimile les innovations du cubisme qui, de 1912 à 1915, irriguent invariablement son œuvre. La désintégration de la forme, l’analyse du visible et la propension à la planéité constituent ainsi
des impulsions décisives vers l’abstraction imminente.
L’influence de Mondrian au XXe siècle.
Rarement artiste eut une telle influence. Frank Stella, Carl Andre ou Victor Vasarely en peinture, mais aussi le Bauhaus ou Gerrit T. Rietveld pour l’architecture et le design, ont contribué à faire de Mondrian l’un des éclaireurs incontournables de la modernité.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Au commencement était la nature
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Mondrian », jusqu’au 30 mars 2008. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, et chaque premier vendredi du mois jusqu’à 22 h, fermé le lundi. Tarifs : 9 € et 6 €. www.museum-ludwig.de L’art géométrique et l’Amérique Latine. Parmi toutes les expressions de l’art géométrique à travers le monde, l’une des plus méconnues en France est le mouvement MADI fondé à Buenos Aires en 1946. Pour Carmelo Arden Quin (L’œil n° 598), son fondateur, il s’agit de créer de nouvelles formes, des structures polygonales planes, des plans articulés, amovibles, associant différents matériaux aux couleurs pures. International, le mouvement MADI comprend plus d’une centaine de membres répartis dans 15 pays. C’est cette diversité que la Maison de l’Amérique Latine expose jusqu’au 2 avril 2008. www.mal217.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Au commencement était la nature