Artindex monde 2015

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 1092 mots

Dans une scène encore largement dominée par les artistes américains et allemands, les Français qui comptent maintenant six représentants avec l’arrivée de Pierre Huyghe, grignotent quelques places, à l’instar d’Anri Sala ( 9)

Si la route vers le sommet est longue, une fois arrivés, les heureux élus semblent s’y installer pour une longue durée. Il suffit de parcourir la liste pour constater que les changements par rapport à l’année dernière ne sont, pour employer le terme du maître suprême, Duchamp, qu’« inframinces ». En tête, indéboulonnable, Bruce Nauman, artiste « hybride » aux activités multiples, dont la quantité d’expositions, individuelles et collectives, impressionne. Le dauphin, Gerhard Richter, le premier représentant de la peinture, n’est pas non plus à plaindre. Un plasticien devant un peintre, un artiste américain suivi par un Allemand, rien de nouveau.

Des stars omniprésentes
De fait, non seulement la première dizaine d’artistes primés reste pratiquement la même, mais surtout très peu de nouveaux ont le privilège d’entrer dans ce paradis de la visibilité (les deux seuls admis sont Markus Lüpertz et Pierre Huygue). Faut-il y voir une certaine tendance à la standardisation chez les décideurs du monde artistique ? Une paresse intellectuelle ? Ceux qui ont la chance de se promener (de préférence en jets privés) d’une biennale à une autre – ces manifestations qui bourgeonnent sur tous les continents – constatent que l’on y croise toujours les mêmes habitués. Comme par un réflexe pavlovien, les organisateurs font appel aux stars consacrées, une façon de s’assurer l’adhésion de la critique et du public. « L’effet biennale », surtout celui de la plus réputée, à Venise, semble puissant car il s’inscrit dans la durée. Durée qui explique la position d’Anri Sala, le premier Français « primé » qui, malgré la quantité relativement limitée de manifestations muséales dernièrement (41 expositions individuelles et 501 expositions dans d’autres lieux, tout de même) fait mieux que maintenir sa place en grimpant neuf échelons (27).

Un regard rapide sur la liste fait apparaître immédiatement certains invariables : la présence écrasante des artistes américains suivis par les Allemands ; la représentation plus que modeste des pays émergents malgré toutes les déclarations sur la mondialisation ; le manque de parité hommes femmes.

Cependant, une analyse plus détaillée montre un subtil jeu de chaises musicales parmi les créateurs. De fait, plus que des bouleversements dans la composition du classement, ce sont des mouvements internes, liés à l’actualité, qui font l’intérêt de cette liste. Ainsi, les deux plus importantes « envolées » concernent des artistes travaillant aux États-Unis, Hiroshi Sugimoto (41e et 18 places) et Richard Prince (43 e et 19 places), dont la pratique principale est ce qu’on peut nommer la photographie conceptuelle (appropriation pour le premier, références philosophiques et religieuses pour le second). Même si les deux ont peu exposé l’année dernière au sein des institutions (encore que Sugimoto a eu droit au Getty Museum), ils sont surtout soutenus par des galeristes puissants : Gagosian et Saatchi pour Prince, Pace Gallery pour Sugimoto. Plus connu du grand public, Prince est un bel exemple de la fascination des médias par les scandales. Ses démêlés avec la justice (atteinte au droit d’auteur pour une œuvre « inspirée » par un cliché pris par Patrick Cariou) ont été l’objet de débats dans le monde de l’art.

Engouement pour la photographie
On est d’ailleurs frappé par l’importance que prend la photographie, pratiquée exclusivement (Cindy Sherman, Thomas Ruff) ou périodiquement (Bruce Nauman, John Baldessari, Ed Ruscha) parmi les artistes qui figurent en tête du classement. Cet engouement se vérifie également dans les foires (Paris, ARCO à Madrid) consacrées à ce média. Ce n’est pas un hasard si « Qu’est-ce que la photographie ? », (lire p.13) démarre actuellement au Centre Pompidou. Il faut croire que de nombreuses expositions qui ont trait à l’histoire et qui font appel aux documents divers contribuent également à cette remontée (« Conflict, Time, Photography » à la Modern Tate, « Les Désastres de la guerre » au Louvre-Lens…).

Cependant, malgré ces observations, l’Artindex monde illustre bien l’éclectisme qui caractérise le paysage esthétique mondial. Pêle-mêle, toutes les disciplines y trouvent leur place. Le mélange générationnel, en revanche, semble se faire moins bien. Peu de jeunes trouvent leur place parmi les ténors établis depuis longtemps. La bonne surprise vient de côté de la France avec Pierre Huyghe, relativement jeune, qui intègre la liste (certes, il est en queue de peloton, mais on sait que les derniers seront les premiers). Il est probable que la rétrospective parisienne et surtout le succès de l’exposition au MOCA de Los Angeles ont contribué à son installation future sur le toit du Metropolitan Museum of Art de New-York (il y prendra le relais de Sol LeWit et de Jeff Koons).

Et justement, Koons ? Étonnamment, malgré une année on ne peut plus chargée entre New York et Paris, malgré sa présence dans tous les médias imaginables, l’artiste, à la 52 place, fait un bond certes non négligeable ( 14) mais qui n’a rien de météoritique. Quelques autres vedettes chutent sans raison particulière (l’usure due à une certaine répétition ?) : Daniel Buren, qui pourtant n’est pas vraiment absent de l’horizon, Jannis Kounellis, malgré une exposition importante au Musée de Saint-Étienne ou même Ellsworth Kelly. On constate également le recul de Marlene Dumas, une des rares femmes bien placées, qui est pourtant bien présentée en ce moment à Londres. Mais une femme peut en cacher une autre – et même deux –, car on remarque la montée spectaculaire de Sophie Calle (une manifestation importante au château de Rivoli, à Turin) et celle de d’Isa Genzken, moins connue en France, et qui a exposé ces dernières années dans quelques musées renommés (MoMA, Dallas Museum of Art, Kunsthalle de Vienne).

Bref, à ces quelques rares exceptions près, ce sont toujours les mêmes qui se partagent le gâteau dont le prix a fortement augmenté.

Méthodologie

Artindex est un classement qui repose sur les expositions auxquelles participent les artistes. Les données sont fournies par notre partenaire Artfacts.net, dirigé par son fondateur Marek Claassen qui administre une base d’artistes, de lieux et d’expositions. Chaque exposition des artistes est créditée d’un certain nombre de points qui dépendent de l’importance des lieux qui peuvent être des musées, biennales ou galeries, du format de l’exposition (collective ou individuelle) et de son ancienneté. Les expositions récentes ont plus de points que les expositions passées. Il se peut que des expositions ne soient pas enregistrées par Artfacts.net. Il est conseillé aux artistes et à leur galerie de les communiquer directement sur Internet à http://www.artfacts.net.

Artindex monde 2015

Artindex monde : classement de 1 a 43Artindex monde : classement de 44 a 200

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Artindex monde 2015

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