Dürer et Kounellis, Giotto et Licini, Pontormo et Basquiat : Achile Bonito Oliva réunit mélancoliques et monomaniaques dans l’exposition Cinq salles entre art et dépression, au Musée Correr à Venise.
VENISE - L’exposition "Cinq salles entre art et dépression" organisée par Achile Bonito Oliva et sponsorisée par la société pharmaceutique Smith Kline Beecham qui effectue des recherches dans ce domaine, ne prétend pas présenter une théorie des rapports entre art et dépression. Elle évoque plutôt, par un parcours en cinq thèmes, une relation que l’on retrouve dans l’idée de "noirceur" des traités d’alchimie, depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
La première salle – dite de "l’Alchimiste"–, coordonnée par Giulio Alessandri, propose, outre quelques traités, un point de départ historique – Mélancolie I, de Dürer –, avant d’élargir le champ à des artistes contemporains, qui utilisent des éléments propres à l’alchimie : Kounellis avec le fer et le feu, ou Cucchi et son oiseau noir. Des médaillons d’Emilio Vedova introduisent cette première étape.
La salle de "l’Ordonnateur", réalisée par Laura Cherubini, se penche sur des images liées à la dépression : Sironi et David Teniers le Jeune dépeignent l’alcoolisme, Mafai et Donghi l’adieu. Elle dénonce l’aspiration à ordonner le chaos créateur de l’artiste, vaine illusion à laquelle ne se laissent réduire ni Warhol, ni Dalì, ni Lo Savio, ni Tano Festa.
Virginia Bradel, à l’aide d’autoportraits de Titien, de Pontormo, de Friedich, de Füssli et de Schiele, montre dans la salle du "Traître" à quelle inquiétante auto-analyse mène la dépression. Elle reprend le thème des vanités, qui court dans toute l’exposition, avec des œuvres de Pozzoserrato, Campi, Magritte, Ensor et Paladino. Et présente la tentative de fuite vouée à l’échec avec des Icare anciens, ceux de Giotto et d’André del Sarte, et modernes, signés Cocteau et Licini.
Quelques antidotes au désespoir sont suggérés dans la salle du "Joueur", confiée à Chiara Bertola : la transgression, avec Hogarth et Casanova, incontournables ; l’oubli par le jeu, échecs de Daumier ou travestissements de Duchamp, qui eux-mêmes renvoient au thème du double vu par Gilbert & George ; la répétition compulsive, évoquée ici par les déclinaisons chiffrées et obsessionnelles de Roman Opalka.
La répétition réapparaît dans la première section de la dernière salle, celle du "Constructeur", organisée par Tommaso Trini : placée sous le signe de Pénélope, elle présente les accumulations d’objets de Schwitters et de Nevelson, les séries de dessins de Haring, les natures mortes récurrentes de Morandi ou les éléments mille fois réutilisés d’Arcimboldo. La deuxième partie est centrée sur la tour de Babel, utopique espoir de s’élever jusqu’au ciel, représentée dans les tableaux de Brueghel, Pieter van der Borcht ou Escher, et reprise dans les ruines de Pannini et de Ricci ou les scènes métropolitaines de Basquiat. À la fois métaphore de toutes les tragédies et espoir de résurrection, la Pietà de Bramantino, panneau récemment restauré, met un point final à l’exposition.
Le catalogue publié par Electa des textes sur la dépression, maladie du siècle, est signé par des spécialistes. On trouvera aussi dans cet ouvrage des conseils pratiques pour mieux éviter les risques d’égarement: surveillez votre régime, ne travaillez pas à un rythme trop soutenu, ne créez pas la nuit. C’est Marsile Ficin qui vous le dit.
Venise, Musée Correr, "Cinq salles entre art et dépression", jusqu’au 3 juillet 1994.
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Art et dépression
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Art et dépression