Arles 95 : bondage japonais

La vingt-sixième édition des Rencontres internationales de la Photographie

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 530 mots

Chaque édition des Rencontres d’Arles a connu ses incertitudes. Mais celle de cet été s’annonce dans une improvisation inégalée : un mois avant l’ouverture, le programme des expositions et des projections était loin d’être définitif.
Quitte à heurter le public traditionnel du festival, le directeur artistique, Michel Nurid­sany, a voulu rompre avec les hommages, le reportage, la photo dite créative, pour privilégier \"la photographie utilisée par les artistes\" et la vidéo (JdA n°14, mai). En ligne de mire, la photo \"hard\" japonaise.

PARIS - Akio Fuji a publié au Japon un petit livre d’aspect très élégant. Sous le titre Bind, il ne regroupe que des femmes pendues, les mains solidement attachées, les seins tordus par des pinces à linge… Masaaki Toyoura s’adonne au même "sujet" dans un magazine intitulé Japanese girls in bondage, sous-titré New Physical culture magazine. Photos "SM" y alternant avec des publicités pour vidéos pornos et lingerie adéquate. Dans la même veine, et avec une mise en scène tout aussi sophistiquée, Shinji Yamazaki a, lui, publié un ouvrage Body discipline, cinq années de "recherches uniques en leur genre".

Ces trois photographes sont les vedettes de l’exposition "Magnifique la luxure", qui devrait faire scandale à Arles, sans doute à la joie des organisateurs, mais probablement sans pour autant nourrir  le débat sur la photographie. Que verra-t-on ? : "Des cérémonies secrètes raffinées et brutales, où le corps est à la fois l’objet de soins extrêmes, et lentement, peu à peu, humilié, doucement, fermement torturé" .

En moins de trois mois, à Reims, à la Fondation Cartier puis à Arles, la photographie "SM" japonaise a déferlé sur les expositions. Cette avalanche est certainement due à l’habileté des agents nippons à placer leurs poulains, mais elle doit aussi être resituée dans un contexte nippon fait de frustrations et d’atermoiements de la censure.

Depuis peu seulement, les Japonais découvrent des nus intégraux dans leurs magazines, alors qu’auparavant  la censure caviardait systématiquement les poils pubiens. L’ère Meiji, à la fin du XIXe siècle, avait sonné le glas des estampes érotiques et jeté un voile de pudibonderie que rejettent aujourd’hui les Japonais avec une frénésie et une violence qui leur sont propres. Se multiplient magazines, et livres "SM", dont les tirages, et les revenus mercantiles intéressent vraisemblablement plus les éditeurs que l’art lui–même.

C’est cette réalité qui va faire irruption dans la cité arlésienne, avec en outre un film sur et par Nobuyoshi Araki, dont les images provocantes ont déjà fait les beaux jours du "Mai" de Reims, de la Fondation Cartier et d’une galerie parisienne. Quasiment inconnu en France, en dépit de quatre-vingts recueils publiés dans son pays, Araki bénéfice actuellement d’une consécration tout aussi fulgurante que surprenante.

Pour le reste, Arles s’annonce en format réduit : le nombre des expositions a chuté de moitié (15, contre plus de 30 en 1994), comme celui des soirées (4 au lieu de 7). La cuvée 95 devrait être une parenthèse dans l’histoire des Rencontres. La direction artistique de l’édition 96 a été confiée au photographe espagnol Joan Fontcuberta.

LES RENCONTRES D’ARLES, expositions du 8 juillet au 15 août. Projections du 8 au 11 juillet au Théâtre Antique. Renseignements, tél : (16) 90 96 76 06.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Arles 95 : bondage japonais

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