Le Musée Guimet met en avant la dimension narrative de l’œuvre et en élargit ainsi la compréhension.
PARIS - On peut avoir l’impression d’avoir beaucoup vu Nobuyoshi Araki en France. Pourtant, à considérer les expositions qui lui ont été exclusivement consacrées depuis la première organisée à Paris par la Fondation Cartier pour l’art contemporain, en 1995, celles-ci sont relativement peu nombreuses. Couvrant ses différentes grandes séries, du « Théâtre de l’amour » (1965) à son dernier « Tokyo Tombeau », la rétrospective proposée par le Musée national des arts asiatiques-Guimet (MNAAG) est, de fait, la première du genre dans l’Hexagone. Elle constitue également la première exposition photo consacrée à un auteur contemporain dans l’histoire de l’institution. L’arrivée à sa présidence en août 2013 de Sophie Makariou n’est pas étrangère à cette orientation. Peu connue pour sa passion et sa connaissance de la photographie, l’ancienne directrice du département des Arts de l’Islam au Louvre a entamé au Musée Guimet une dynamique politique de valorisation de ses collections photo, au travers d’achats et d’exposition d’auteurs contemporains. Araki ouvre donc le bal tandis qu’au deuxième étage « Orient/Asie – Aller\Retour » découvre quelques pièces maîtresses du musée, du XIXe siècle jusqu’aux derniers legs, dons ou acquisitions, venant du Sud-Coréen Bohnchang Koo ou du fonds de Marc Riboud.
Dans la tradition du « kinbaku »
L’exposition « Araki » et le catalogue qui l’accompagne se complètent à merveille. Placée sous le commissariat conjoint de Jérôme Neutres et de Jérôme Ghesquière, la présentation propose un intéressant cheminement dans l’œuvre tandis que les textes du catalogue introduisent à d’autres points de vue que ceux généralement véhiculés sur le photographe japonais ; celui-ci est en effet souvent réduit en Occident à sa production d'images de femmes dénudées et ligotées, dont l’érotisme s'inscrit dans la tradition du kinbaku. La lecture en particulier du texte « Araki écrivain » par Philippe Forest, déjà auteur chez Gallimard d’un livre de référence sur le photographe japonais (1), en élargit la compréhension. Le parcours commence fort justement par un mur couvert des ouvrages publiés par Araki de 1971 à nos jours, rappellant la place de l’imprimé chez ce fabricant de livres qu’il est avant tout. Près de cinq cents opus sont recensés à ce jour, sachant que lors de la publication par Phaidon, en 2007, de la monographie Araki : moi, la vie, la mort, on en comptait trois cents, un décompte déjà loin d’être exhaustif.
Par le livre, et le déploiement sur les murs de leurs photographies, l’on saisit au mieux l’œuvre d’un auteur compulsif, obsessionnel, qui n’a cessé, d’ouvrage en ouvrage, d’écrire, de raconter un seul et même récit à partir des moments vécus au quotidien ou imaginés voire transfigurés : celui d’une vie où création et existence sont indissociables. Ce récit, que vient rompre une salle dévolue aux photographies de fleurs, reprend avec le déploiement en regard des images issues de « Voyages sentimental » (1971) et de « Voyage d’hiver » (1990), et plus loin avec les vintages de « Théâtre de l’amour » placés face à ceux de « Sentimentalisme en photographie », « Journal intime » et « Imparfait futur ».
Célèbre pour ses photographies de femmes et de fleurs, Araki est avant tout un écrivain imprégné tant d’histoire de la photographie et d’histoire de l’art que de culture et de littérature japonaises. Au Musée Guimet, on le perçoit dans ce condensé vertigineux. Le visage de sa femme Yoko, la silhouette du chat ou les cieux de Tokyo reviennent de façon récurrente dans ses récits, y compris dans son « Tokyo Tombeau » qu’il a produit pour le musée. Cette longue trame de morceaux choisis d’une existence à l’orée d’une fin redessine un chemin de vie à partir d’images du passé et du présent dépourvues de toute légende.
(1) Araki enfin, l’homme qui ne vécut que pour aimer, coll. « Art et artistes », 2008.
Commissariat : Jérôme Neutres, directeur de la stratégie et du développement RMN-Grand Palais ; Jérôme Ghesquière, responsable des collections photographiques du
Nombre d’œuvres : près de 400
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Araki l’écrivain
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 septembre, Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris, www.guimet.fr, tlj sauf mardi, 10h-18h, entrée 9,50 €. Catalogue, coédition Gallimard/MNAAG, 304 p. 39,90 €. À voir aussi : « Orient/Asie – Aller/Retour, trésors photographiques », jusqu’au 29 juin, ouvrage La photographie ancienne en Asie, coéd. Nouvelles Éditions Scala/MNAAG, 128 p., 15,50 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : Araki l’écrivain