Donnée à sa mort, en 2021, à la Fondation d’Antoine de Galbert, la collection de Jean Chatelus, comprenant 400 œuvres d’art, est confiée deux ans plus tard au Centre Pompidou. Antoine de Galbert, collectionneur et mécène passionné, explique les raisons de cette donation, qui fait l’objet d’une grande exposition au Centre Pompidou.

C’était la seule collection obsessionnelle. Elle révélait un monde transgressif, hanté par la mort, le sexe… Elle révélait surtout un collectionneur qui achetait des choses totalement différentes de ce qu’il était de bon ton d’acheter. J’étais encore à Grenoble, j’avais une galerie et je commençais juste à collectionner, et Jean était pour moi une sorte de modèle.
Au départ, je l’ai appelé car j’avais entendu qu’il vendait des œuvres de Bernard Réquichot (1929-1961), protégé du marchand d’art Daniel Cordier (1920-2020). Il les avait déjà vendues, il m’a envoyé balader. Jean revendait beaucoup pour acquérir de nouvelles œuvres car il n’avait pas beaucoup de fortune. Il avait d’ailleurs autant de plaisir à vendre qu’à acheter. C’était l’un des collectionneurs les plus passionnants et les plus drôles tant il aimait provoquer en déconseillant d’acheter français. Je recherchais pour la future Maison rouge des collectionneurs qui tentaient de faire œuvre sans panurgisme.
Ce fut certainement pour lui une manière de s’extraire de son milieu d’origine lyonnais, conservateur, provincial et catholique. Mais contrairement à sa collection, Jean était pudique. Je ne connaissais pas son histoire personnelle ; nous n’évoquions jamais nos vies privées. Il aimait parler surtout de ses dernières découvertes qui très souvent me plaisaient aussi. Nous étions amis dans notre mauvais goût et il n’était pas nécessaire de parler des œuvres. Toute la vie de Jean a été vouée à l’art. Dans son appartement il y en avait partout, dans la cuisine, la salle de bains… Il fallait se faufiler.
Oui… Un jour, Jean arrive, un peu gêné, et me dit : « Il paraît que tu as la seule Fondation honnête, je te laisse tout. » Jean aimait la liberté de programmation de La Maison rouge, il avait participé à notre exposition inaugurale. J’ai ensuite tenu secret ce qu’il m’avait proposé jusqu’à sa mort, où j’ai alors accepté son legs. Ce ne fut pas simple pour notre équipe de passer des mois chez lui, comme s’il était encore là. Nous avons réalisé un travail colossal : restaurations, inventaire, film, catalogue de plus de 500 pages, etc.
Je ne pouvais pas la garder, ma Fondation ne collectionne pas. Jean n’avait d’ailleurs pas écrit qu’il ne voulait pas que sa collection rejoigne un musée. Mais il avait dû être un peu humilié par certains directeurs de musées qui ne comprenaient pas sa très grande originalité. S’il nous regarde aujourd’hui, il doit être fier que sa collection rejoigne le patrimoine public et fasse l’objet d’une exposition conséquente au Centre Pompidou.
Bien que passionnant, l’univers de Jean Chatelus ressemblait à un tombeau égyptien, et y travailler pendant des mois nous a parfois angoissés. Cette accumulation a eu un effet miroir qui m’a poussé à réfléchir au devenir de ma propre collection. Donner, vendre, transmettre, se dépouiller, affiner…
Il s’agit en fait d’un achat de ma Fondation destiné à enrichir les collections du Musée de Grenoble. Un avant-goût de ces quelque 10 000 tirages sera présenté aux Rencontres d’Arles début juillet.
Il n’y a pas de plus grand bonheur que de donner aux musées. C’est une fierté et une satisfaction. Sanctuariser, sauver ce que l’on aime. Se défaire de quelque chose qui ne nous appartient pas réellement. Le catalogue de ma donation de coiffes ethnographiques au Musée des Confluences que je peux consulter à tout moment suffit à me sentir virtuellement propriétaire de ces objets. Et puis l’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées.
Je vais bientôt vendre aux enchères ma collection d’art brut, pour passer à autre chose.
Il faut bien comprendre ma double casquette : mécène et collectionneur. Montrer des facettes de sa propre collection est une immense chance. Se voir et voyager en soi-même. Nous allons montrer une sélection de près de 150 dessins au Festival du dessin d’Arles, créé par Frédéric Pajak. Chaque exposition de la collection est une nouvelle aventure où l’accrochage révèle des amitiés surprenantes entre les œuvres.
Pour collectionner, nous devons étayer nos intuitions par quelques connaissances sans se priver de remettre en cause l’histoire de l’art trop vite écrite. C’est ce que nous ne comprenons pas ou ce que nous ne possédons pas qui définit le mieux une collection, et c’est paradoxalement ce vide qui nous construit. Être soi-même en art c’est parfois être seul à défendre contre vents et marées quelque chose ou quelqu’un. C’est savoir résister aux excès du marché et de la mode, ce que je ne parviens pas toujours à réussir.
Oui, mais avec plus de retenue qu’avant. J’aime aussi beaucoup acquérir des œuvres pour une exposition en particulier.
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Antoine de Galbert : « L’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : Antoine de Galbert : « L’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées »