Collectionneurs

Antoine de Galbert : « L’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées »

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 19 mars 2025 - 1185 mots

Donnée à sa mort, en 2021, à la Fondation d’Antoine de Galbert, la collection de Jean Chatelus, comprenant 400 œuvres d’art, est confiée deux ans plus tard au Centre Pompidou. Antoine de Galbert, collectionneur et mécène passionné, explique les raisons de cette donation, qui fait l’objet d’une grande exposition au Centre Pompidou.

Antoine de Galbert
Antoine de Galbert
© Photo Mathilde de Galbert
Vous avez découvert l’existence de la collection de Jean Chatelus (1939-2021)en 1995 lors de l’exposition « Passions privées » au Musée d’art moderne de Paris qui révélait près d’une centaine de collectionneurs français. Qu’est-ce qui a retenu votre attention à l’époque ?

C’était la seule collection obsessionnelle. Elle révélait un monde transgressif, hanté par la mort, le sexe… Elle révélait surtout un collectionneur qui achetait des choses totalement différentes de ce qu’il était de bon ton d’acheter. J’étais encore à Grenoble, j’avais une galerie et je commençais juste à collectionner, et Jean était pour moi une sorte de modèle.

Comment le lien s’est-il créé entre vous ?

Au départ, je l’ai appelé car j’avais entendu qu’il vendait des œuvres de Bernard Réquichot (1929-1961), protégé du marchand d’art Daniel Cordier (1920-2020). Il les avait déjà vendues, il m’a envoyé balader. Jean revendait beaucoup pour acquérir de nouvelles œuvres car il n’avait pas beaucoup de fortune. Il avait d’ailleurs autant de plaisir à vendre qu’à acheter. C’était l’un des collectionneurs les plus passionnants et les plus drôles tant il aimait provoquer en déconseillant d’acheter français. Je recherchais pour la future Maison rouge des collectionneurs qui tentaient de faire œuvre sans panurgisme.

Comment expliquez-vous que l’historien de formation et enseignant d’histoire moderne à la Sorbonne que Jean Chatelus fut, ne se soit intéressé qu’à l’art contemporain ?

Ce fut certainement pour lui une manière de s’extraire de son milieu d’origine lyonnais, conservateur, provincial et catholique. Mais contrairement à sa collection, Jean était pudique. Je ne connaissais pas son histoire personnelle ; nous n’évoquions jamais nos vies privées. Il aimait parler surtout de ses dernières découvertes qui très souvent me plaisaient aussi. Nous étions amis dans notre mauvais goût et il n’était pas nécessaire de parler des œuvres. Toute la vie de Jean a été vouée à l’art. Dans son appartement il y en avait partout, dans la cuisine, la salle de bains… Il fallait se faufiler.

Sans descendance, il vous propose quelques années après l’inauguration de La Maison rouge de léguer l’ensemble de ses biens à votre Fondation d’utilité publique. On peut imaginer qu’une telle décision vous a quelque peu surpris ?

Oui… Un jour, Jean arrive, un peu gêné, et me dit : « Il paraît que tu as la seule Fondation honnête, je te laisse tout. » Jean aimait la liberté de programmation de La Maison rouge, il avait participé à notre exposition inaugurale. J’ai ensuite tenu secret ce qu’il m’avait proposé jusqu’à sa mort, où j’ai alors accepté son legs. Ce ne fut pas simple pour notre équipe de passer des mois chez lui, comme s’il était encore là. Nous avons réalisé un travail colossal : restaurations, inventaire, film, catalogue de plus de 500 pages, etc.

Pourquoi avoir ensuite donné cette collection au Centre Pompidou ?

Je ne pouvais pas la garder, ma Fondation ne collectionne pas. Jean n’avait d’ailleurs pas écrit qu’il ne voulait pas que sa collection rejoigne un musée. Mais il avait dû être un peu humilié par certains directeurs de musées qui ne comprenaient pas sa très grande originalité. S’il nous regarde aujourd’hui, il doit être fier que sa collection rejoigne le patrimoine public et fasse l’objet d’une exposition conséquente au Centre Pompidou.

Vous dites dans le catalogue de l’exposition que son accumulation d’œuvres vous a conduit à réfléchir sur votre propre collection…

Bien que passionnant, l’univers de Jean Chatelus ressemblait à un tombeau égyptien, et y travailler pendant des mois nous a parfois angoissés. Cette accumulation a eu un effet miroir qui m’a poussé à réfléchir au devenir de ma propre collection. Donner, vendre, transmettre, se dépouiller, affiner…

En janvier dernier pourtant vous avez acheté la collection de photographies amateurs et anonymes de Marion & Philippe Jacquier, fondateurs de la galerie Lumière des roses…

Il s’agit en fait d’un achat de ma Fondation destiné à enrichir les collections du Musée de Grenoble. Un avant-goût de ces quelque 10 000 tirages sera présenté aux Rencontres d’Arles début juillet.

Pourquoi cet attachement de manière générale aux collections publiques et aux musées. Rappelons que vous avez donné votre collection de coiffes au Musée des Confluences à Lyon, participé à la collection de photographies du Musée de Grenoble, fait un don d’œuvres au Musée des beaux-arts et Musée d’art contemporain de Lyon…

Il n’y a pas de plus grand bonheur que de donner aux musées. C’est une fierté et une satisfaction. Sanctuariser, sauver ce que l’on aime. Se défaire de quelque chose qui ne nous appartient pas réellement. Le catalogue de ma donation de coiffes ethnographiques au Musée des Confluences que je peux consulter à tout moment suffit à me sentir virtuellement propriétaire de ces objets. Et puis l’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées.

Vous n’avez rien vendu pour l’instant…

Je vais bientôt vendre aux enchères ma collection d’art brut, pour passer à autre chose.

Vous aimez éditer des livres, soutenir l’édition, concevoir aussi des expositions. Pour le Festival du dessin à Arles [lire p. 96], vous avez conçu une exposition à partir de votre propre collection. Que vous permet une exposition ?

Il faut bien comprendre ma double casquette : mécène et collectionneur. Montrer des facettes de sa propre collection est une immense chance. Se voir et voyager en soi-même. Nous allons montrer une sélection de près de 150 dessins au Festival du dessin d’Arles, créé par Frédéric Pajak. Chaque exposition de la collection est une nouvelle aventure où l’accrochage révèle des amitiés surprenantes entre les œuvres.

Dans le catalogue de l’exposition de votre collection à La Maison Rouge en 2014, vous aviez mis en exergue cette phrase de Louis Jouvet : « Il faut lentement devenir ce que tu es. » En quoi collectionner vous a construit ?

Pour collectionner, nous devons étayer nos intuitions par quelques connaissances sans se priver de remettre en cause l’histoire de l’art trop vite écrite. C’est ce que nous ne comprenons pas ou ce que nous ne possédons pas qui définit le mieux une collection, et c’est paradoxalement ce vide qui nous construit. Être soi-même en art c’est parfois être seul à défendre contre vents et marées quelque chose ou quelqu’un. C’est savoir résister aux excès du marché et de la mode, ce que je ne parviens pas toujours à réussir.

Continuez-vous d’acheter ?

Oui, mais avec plus de retenue qu’avant. J’aime aussi beaucoup acquérir des œuvres pour une exposition en particulier.

 

1955
Naît à Grenoble
1987-1997
Crée et dirige une galerie d’art contemporain à Grenoble
2004-2018
Fondateur et président de La Maison rouge – Fondation Antoine de Galbert (Paris)
2017
Donation de sa collection de coiffes au Musée des Confluences (Lyon)
2024
« Une histoire d’images. Donation Antoine de Galbert » au Musée de Grenoble
2025
« Énormément bizarre. Collection Jean Chatelus…» au Centre Pompidou (Paris) et « Collection Antoine de Galbert » au Festival du dessin (Arles)
À voir
« Collection Antoine de Galbert »,
Festival du dessin, du 12 avril au 11 mai, dans différents lieux d’Arles, www.festivaldudessin.fr
À voir
« Énormément bizarre. Collection Jean Chatelus. Donation Fondation Antoine de Galbert »,
Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris-4e, du 26 mars au 30 juin, www.centrepompidou.fr
À lire
« Énormément bizarre – Collection Jean Chatelus – Donation Fondation Antoine de Galbert au Centre Pompidou, »
Les Presses du réel, 2025, 556 p., 49 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : Antoine de Galbert : « L’autodidacte que je souhaite rester à jamais doit tout aux musées »

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