Dans le cadre de la collaboration entre la Fondation Luma et des artistes vivants, la photographe américaine réinterprète en exposition ses archives.
Arles. En mars 2016, la Fondation Luma Arles avait fait sensation en annonçant l’acquisition des archives d’Annie Leibovitz. La célèbre photographe américaine âgée de 68 ans a en effet souhaité que le fonds de dotation créé en France par Maja Hoffmann conserve et valorise la totalité de ses négatifs, planches-contacts, essais ou tirages passés et à venir. Ce choix a placé d’un coup l’institution au rang de celles capables de débourser des centaines de milliers de dollars pour l’achat d’archives d’artistes en vie. « Annie Leibovitz, les premières années 1970-1983 », première exposition d’une série de trois, donne forme au programme dit d’« Archives vivantes » engagé à Arles par la mécène suisse à partir de ses fonds acquis.
« Il s’agit de comprendre le processus d’une création », explique Maja Hoffmann, qui date de 2010 sa première rencontre avec la photographe. Annie Leibovitz, pour justifier son choix de Luma Arles et non d’une institution américaine, précisant : « Des discussions ont eu lieu. Mais elles ne m’apportaient pas ce que je trouve ici. J’aime cette idée d’archives vivantes que l’on peut étudier, montrer. Je suis encore en vie et travaille toujours autant. » La photographe était en effet peu encline à voir ses archives, particulièrement bien indexées, végéter dans un musée passée la première grande exposition célébrant leur entrée. Et, ajoute-t-elle, « avant de rencontrer Maja, je savais que je voulais revenir sur ces travaux de jeunesse. » Maja Hoffmann lui en a donné plus que les moyens.
Une présentation aux allures de rushs de film
Placée sous la responsabilité de Matthieu Humery, ex-vice-président des ventes de Christie’s, directeur du programme « Archives vivantes », cette première exposition a fait d’abord l’objet en avril dernier d’une maquette à l’échelle 1 installée dans un espace loué à New York avant qu’Annie Leibovitz et une équipe de huit personnes de son studio ne travaillent pendant une semaine à son montage dans la grande halle du Parc des ateliers. Le bloc monté dans le Bronx à partir de panneaux phoniques, de cordelettes tendues striant l’espace pour épingler les tirages, est décliné à Arles à l’identique en huit blocs successifs, selon la méthode d’Annie Leibovitz. Leur disposition dans la Grande Halle retrace chronologiquement son parcours, depuis les premières photos de sa famille ou dans un kibboutz en Israël réalisées en 1969-1970 jusqu’à son départ en 1983 du magazine Rolling Stone pour rejoindre Vanity Fair. Un autoportrait à l’âge de 18 ans sous la douche ou une photographie de Robert Frank sur le tournage de son film sur les Stones peuvent apparaître sur une même cimaise tirés dans des formats et des contrastes différents. Au bas de certains panneaux, la photographe a regroupé en un paquet des images gardées en réserve, allusion au working progress. Le noir et blanc caractérise cette période particulièrement prolixe en images et en séries. La couleur n’apparaît que par bribes avant de dominer la production du début des années 1980.
Un ton subversif
Le flash-back a des allures de rushs de film avant le montage. L’accrochage sort la photo de son tirage soigné et de son encadrement traditionnel pour la faire entrer, vibrer dans une composition tonique et sensible où interviennent régulièrement autoportraits et archives familiales. Sur les 8 000 photos recensées de cette période, près de 300, essentiellement en noir et blanc, ont été retenues. « Elle n’avait pas revu depuis quarante-cinq ans 90 % de ces images », précise Matthieu Humery. « Le principe est moins de regarder une à une les photos que de suivre l’énergie d’une jeune photographe et d’une époque », souligne Annie Leibovitz. Cette énergie se perçoit surtout dans les six premiers blocs, avant que ne commencent à apparaître les premiers portraits iconiques en couleur qui ont fait sa réputation, parmi lesquels le dernier de John Lennon lové nu contre Yoko Ono quelques heures avant son assassinat. La jeune reporter qu’elle fut avant de passer à la photographie conceptuelle et au portrait des stars ou têtes couronnées de ce monde y révèle très tôt son art du cadrage et de la narration.
L’Amérique des années 1970 se raconte. Les portraits de l’avant-garde du cinéma, de la musique pop et de la littérature américaine défilent. Les reportages pour le magazine Rolling Stone la conduisent à couvrir tant les concerts et soirées que les manifestations contre la guerre du Vietnam et les campagnes présidentielles de Richard Nixon ou de Jimmy Carter. Tout un pan de mur est réservé aux coulisses et à l’ivresse de la tournée des Stones de 1975 qu’elle a suivie de bout en bout. On circule également beaucoup avec elle en voiture, cadre privilégié de nombre de ses portraits de famille, de stars ou de policiers qui la verbalisent pour excès de vitesse. Ces derniers portraits réalisés au Polaroid appartiennent à la collection de Jann Wenner, cofondateur et dirigeant du magazine musical. Se lit également son admiration pour Henri Cartier-Bresson et pour Robert Frank qu’elle ne lâche pas des yeux quand il tourne son film sur les Rolling Stones, y compris quand David Seymour, le preneur de son du film resté inachevé, lui tend un peu de cocaïne.
Les années 1970 d’Annie Leibovitz fleurent bon la subversion, la liberté d’être « dans un pays qui était sans radar et où l’on ne savait pas où l’on allait », dit-elle.
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Annie Leibovitz, retour sur images
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Abonnez-vous dès 1 €Grande Halle, parc des Ateliers, 13200 Arles, www.luma-arles.org
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Annie Leibovitz, retour sur images