Allemagne - Art contemporain

Allemagne : œuvres d'art sous tension à la documenta de Cassel

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 17 juin 2022 - 688 mots

CASSEL / ALLEMAGNE

Vandalisme, accusations d'antisémitisme et un tas géant de compost : la quinzième édition de la documenta, prestigieux rendez-vous allemand d'art contemporain, s'ouvre avec son lot de controverses.

La manifestation, qui transforme tous les cinq ans la paisible ville de Cassel (centre) en fourmilière du monde de l'art, démarre samedi mais fait déjà parler d'elle depuis des mois. « La documenta promet d'être radicale, des invités aux œuvres, en passant par les lieux d'exposition », a prévenu sa directrice Sabine Schormann lors de la présentation à la presse.

Pour la première fois, c'est un collectif d'artistes qui a pris les rênes de la manifestation. Le groupe « Ruangrupa » est composé de créateurs originaires de Jakarta, en Indonésie. Ils veulent montrer une vision de l'art moins centrée sur l'Europe ou les Etats-Unis et attirer l'attention sur les maux du capitalisme, la colonisation et les structures patriarcales. Cette jeune direction artistique a traversé des semaines de turbulences lorsque la participation du collectif palestinien The Question of Funding, très critique envers l'occupation israélienne, a été dévoilée.

Un message de blog anonyme, signé par une certaine « Alliance contre l'anti-sémitisme Cassel » a accusé en janvier ces artistes d'être liés au mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), qui prône le boycott d'Israël en raison de son occupation des Territoires palestiniens.

« Un gros problème »

Le BDS a été étiqueté comme « antisémite » par le parlement allemand en 2019 et n'a pas le droit de toucher d'argent public. Or, environ la moitié du budget de la documenta - 42 millions d'euros - provient de l'Etat fédéral. Plusieurs médias allemands ont à leur tour critiqué la participation du collectif, poussant Ruangrupa à condamner dans une lettre ouverte « des tentatives de mauvaise foi de délégitimer des artistes et de les censurer préventivement sur la base de leur héritage ethnique ».

Le mois dernier, des vandales se sont introduits dans l'espace où les œuvres des artistes palestiniens sont exposées, recouvrant les murs de graffitis menaçants. Au moins l'un des tags était encore visible cette semaine entre des peintures et des photographies documentant la dureté de la vie dans la bande de Gaza, a constaté l'AFP lors d'une visite. Dans une série de collages, l'artiste palestinien Mohammed al-Hawajri juxtapose des images de Gaza avec les œuvres de grands maîtres de l'art occidental : Delacroix, Chagall, Van Gogh et surtout Picasso et son chef-d'œuvre pacifiste Guernica.

La ministre allemande de la Culture Claudia Roth s'est rangée du côté de Ruangrupa et de ses invités. « L'antisémitisme n'a pas sa place à la documenta », a-t-elle mis au point. « En même temps, la liberté artistique est un point clé ». A propos de l'absence de relations diplomatiques entre l'Indonésie et Israël, la ministre a commenté : « Je peux le condamner. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'un artiste ou collectif indonésien est en soi suspicieux ». L'hebdomadaire Der Spiegel a taxé l'affaire de spectacle embarrassant et jugé que « le secteur culturel allemand a un gros problème » à composer entre liberté artistique, respect des minorités et poids de l'histoire.

Renouveau créatif

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville de Cassel a accueilli un vaste camp de travail forcé, avant d'être en grande partie détruite par les bombardements alliés. La création de la documenta en 1955 avait pour but de redonner à l'Allemagne une place sur la scène culturelle après les persécutions nazies contre l'avant-garde artistique. La documenta est aujourd'hui un rendez-vous majeur de l'art contemporain, avec la Biennale de Venise. Pendant 100 jours, les œuvres de plus de 1 500 artistes devraient attirer au moins un million de visiteurs.

Sur l'un des principaux sites d'exposition, les artistes kenyans du Wajukuu Art Project ont installé une entrée en tôle ondulée qui évoque les bidonvilles de Nairobi. A l'intérieur, un tunnel obscur désoriente les visiteurs - une impression qu'ils retrouveront dans de nombreuses installations, parmi lesquels un sex-club réaménagé dans une cave.

Dans un parc devant l'Orangerie baroque de la ville, trône une œuvre qui fera se pincer le nez les sceptiques de l'art contemporain : un tas de compost agrémenté de toilettes, qui invitent les visiteurs à fertiliser le sol - un symbole de renouveau créatif.

Par Deborah Cole

Cet article a été publié par l'AFP le 17 juin 2022.

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