Roll « incarne le mieux, avec Dalou, l’esprit du régime républicain ». L’historien Pierre Vaisse ne pouvait mieux qualifier cette figure du naturalisme, aussi célèbre à la fin du XIXe qu’inconnue aujourd’hui.
Vers la reconnaissance
Né sous l’Empire, il a vingt-quatre ans lorsque surviennent les événements de 1870 et 1871, qu’il traverse selon les normes consensuelles du nouveau régime. Patriote, il s’engage dans la garde mobile pendant la guerre franco-prussienne, mais, démobilisé, reste à Paris pendant la Commune, où il ne prend parti ni pour les insurgés, ni pour les Versaillais. À partir de 1872, il envoie au Salon des toiles peintes en atelier dans une veine très académique : des nus, des paysages, des scènes militaires ou romanesques.
En dépit d’un dessin faible, la critique apprécie sa fougue déployée en grand format et l’État lui achète plusieurs de ses toiles. En 1877, il amorce un virage déterminant avec des sujets nettement plus réalistes, notamment la Grève des mineurs (1880). Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, lui commande une grande composition illustrant la première fête nationale (dans les réserves du Petit Palais).
Suivent alors plusieurs autres commandes, soit de grandes toiles illustrant des événements politiques (le centenaire des États Généraux, la pose de la première pierre du pont Alexandre III), soit des décors muraux : hôtel de ville de Paris, plafond du Petit Palais, un amphithéâtre de la Sorbonne. Le régime ne cesse de le combler d’honneurs, il reçoit toutes les distinctions de la Légion d’honneur, de chevalier en 1883 à grand officier en 1913.
Un C.V. très républicain
Comment expliquer une telle faveur ? Depuis la démission en 1879 de Mac-Mahon, alors à la tête de l’État, le régime républicain ne se sent plus menacé par un retour des royalistes. Il peut et veut s’appuyer sur des hommes neufs tels qu’Alfred Roll pour réaliser son projet social. Le peintre de la Grève des mineurs, ne vient pas du système. Issu d’une famille fraîchement parisienne et embourgeoisée, il était destiné à reprendre la fabrique d’ébénisterie de son père avant de refuser ce destin. Formé dans un atelier d’ornemaniste, il suivait le soir les enseignements de la « Petite École » de Lecocq de Boisbaudran avant de traverser l’atelier privé de Bonnat. Roll n’a pas été prix de Rome, ni professeur, ni académicien. En revanche, il est de ceux qui fondent en 1890 le Salon dissident des Beaux-Arts, plus ouvert à la modernité et moins soumis à l’Institut. Il en sera le président de 1905 jusqu’à sa mort en 1919. Il incarne l’ascension sociale républicaine au point de devenir une sorte de notable des arts, loin du peintre bohème Claude Lantier du roman d’Émile Zola.
L’État républicain a aussi trouvé dans le naturalisme une esthétique et une iconographie en phase avec son programme politique. On comprend aisément qu’il ne se reconnaisse pas dans les héros grecs, les christs en croix ou les nudités porcelainisées trop associés aux précédents régimes royalistes et impériaux. Des sujets réalistes tirés du quotidien de la France populaire lui siéent mieux. Le poète Stuart Merril dit même de la Fête nationale du 14 juillet 1880 « qu’il est un des rares chefs-d’œuvre de la peinture naturaliste ».
À partir de 1880, le réalisme n’est plus forcément associé à Courbet (mort en 1877), le démolisseur de la colonne Vendôme, d’autant que les communards ont été amnistiés l’année précédente. Par ailleurs, Roll ne verse pas dans les courants misérabilistes ou anecdotiques du naturalisme, qui ont tant nuit à ce dernier. Il décrit le monde ouvrier à la manière d’un Zola, sans pathos ni dédain ou mépris. Sa manière de peindre le rapproche d’un Manet, mais avec en plus une certaine rudesse et quelques maladresses. Il emprunte aux impressionnistes la palette claire et la touche visible, qu’apprécie de plus en plus le public à mesure que l’on aborde le tournant du siècle.
Roll, un vrai faux peintre officiel
En 1885, aux yeux du critique Joris-Karl Huysmans, pourtant peu suspect de conservatisme, il incarne la modernité : « M. Roll faisait partie de ce trio qui représentait, aux yeux des bourgeois, l’art moderne, le trio Bastien-Lepage, Gervex et Roll, l’École normale de la peinture entrée dans le journalisme de l’art [...] » C’est toute cette modernité qui s’expose en ce moment à Bordeaux, et qui trouva un accueil favorable auprès de la IIIe République.
« Roll devint, sans l’avoir cherché, quelque chose comme le peintre officiel de la IIIe République [...] » Il y a du vrai et du faux dans cette affirmation du critique d’art Camille Mauclair, bien plus tard, en 1931, à l’occasion de la rétrospective Roll. Certes, Roll a été gâté par le régime, qui lui a acheté de nombreuses toiles, commandé plusieurs tableaux historiques et décors muraux, l’a couvert de décorations et invité à siéger dans de nombreuses commissions. Mais il n’est pas pour cela un peintre officiel. Car, à ce compte-là, les artistes d’aujourd’hui, dont les œuvres jalonnent les nouveaux tramways ou occupent les places publiques, devraient aussi être considérés comme des artistes officiels. Il est tout aussi abusif de considérer le naturalisme comme une esthétique officielle pour la bonne raison qu’il n’y en a pas : l’État s’est bien gardé d’ostraciser la peinture académique ou l’impressionnisme. La postérité est souvent ingrate pour les enfants modèles.
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Alfred Roll peintre républicain par excellence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°599 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Alfred Roll peintre républicain par excellence