Dans une scénographie rythmée, l’exposition marseillaise mêle objets archéologiques et œuvres contemporaines. Un parcours à l’esthétique réussie qui met de côté le propos scientifique.
Marseille. Recycler les cimaises d’une exposition à l’autre, tous les musées s’y mettent pour alléger leurs émissions de carbone. Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) prouve en outre qu’on peut faire de l’original très soigné avec les matériaux des expositions passées. Après les « Pharaons superstars » qui ont accompagné l’été du musée marseillais, c’est le port d’Alexandrie qui prend le relais en réutilisant les éléments architecturaux du parcours précédent, dans une ambiance complètement différente.
Conçue dans le cadre d’un programme européen, l’exposition « Alexandrie : futurs antérieurs » était, il y a peu, présentée dans les espaces historiques du Palais des beaux-arts de Bruxelles. À Marseille, la confrontation entre pièces archéologiques et œuvres d’art contemporain est certainement moins surprenante qu’au Bozar, tant le mélange des genres est devenu habituel au MuCEM. Dans ce nouveau parcours, l’intégration des œuvres contemporaines est fluide. Le Nœud gordien d’Asli Çavusoglu (2013) présenté en symétrie d’un buste d’Alexandre le Grand, les canalisations en céramique de Jumana Manna ou l’installation éclatée Rome is not Rome de Haig Aivazian (2016, voir ill.), pourtant conçue pour l’extérieur : toutes ces pièces répondent aux thématiques des salles dans lesquelles elles sont montrées – ce qui n’est pas toujours le cas dans ce type d’exposition mixte – et trouvent facilement leur place entre les cimaises archéologiques.
Exploration urbaine
L’Alexandrie d’aujourd’hui et l’Alexandrie antique se partagent le parcours. Si l’exposition propose de décentrer le regard antique posé sur ce port multiculturel depuis des millénaires, l’époque ptolémaïque et l’Égypte ancienne dont elle se réclame sont pourtant omniprésentes, tant dans les objets antiques sélectionnés, que dans la plupart des œuvres contemporaines.
Le port égyptien est ici montré comme un territoire mouvant, à l’image de sa géographie changeante, présentée par plusieurs cartes dans la première salle, mais constant. La scénographie traduit cette continuité, en gardant la même palette chromatique tout au long du parcours, et en déclinant quelques principes architecturaux, de symétrie, de sérialité qui font de cette exposition une promenade urbaine, où différentes percées visuelles offrent, sur la même œuvre, une multitude de points de vue. L’exposition exploite les recoins des salles, hors du sens de visite, et recourt à des quadrilatères simples – podium, vitrines – reproduisant le sentiment de variété et de détours dont on fait l’expérience lors d’une exploration en ville.
Dans cette scénographie agréable à parcourir, conçue par l’architecte turque Asli Çiçek, les pièces archéologiques sélectionnées par deux commissaires spécialistes de l’Antiquité (deux conservateurs du Musée royal de Mariemont) sont mises en scène dans leurs vitrines comme des objets précieux, soulignant leur valeur esthétique. Remarquables plastiquement, elles ne sont jamais surchargées, toujours organisées selon un léger axe de symétrie ou en veillant à créer une rythmique entre les artefacts. Un plaisir des yeux qui, ici, relègue la valeur scientifique des objets au second plan.
Une déambulation sensible
« Alexandrie : futurs antérieurs » renverse le paradigme des expositions mixtes : ici, ce sont les pièces archéologiques qui s’adaptent au parcours d’art contemporain. Mais si c’est une réussite esthétique, le discours scientifique peine à émerger de ces vitrines dont la composition est une œuvre en soi. Pour apprécier ce parcours, peut-être ne faut-il pas en attendre un propos argumenté et structuré sur la ville, mais le considérer davantage comme une évocation onirique du genius loci – le génie des lieux – d’Alexandrie, où les cimaises archéologiques ouvrent une fenêtre sur la rêverie antique qui fonde l’imaginaire de la ville. À cet égard, l’exposition est une formidable déambulation.
Les thématiques choisies sont pourtant intéressantes et brossent un portrait parcellaire mais original de la ville portuaire, en s’attardant sur son problème d’eau, son bilinguisme culturel, sa relation au pouvoir ou sur ses habitants. Quelques pièces de première importance viennent même les illustrer, comme les fresques pompéiennes prêtées par le Musée archéologique de Naples [voir ill.], ou un Horus légionnaire issu des collections du Musée du Louvre.
Un seul point noir gâchera l’expérience de certains visiteurs : les œuvres contemporaines vidéo et audio sont en anglais, sans sous-titres français. Une mauvaise habitude venue du monde de l’art contemporain, incompatible avec la mission de service public d’un musée national comme le MuCEM.
Jusqu’au 8 mai, MuCEM - Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, 1, esplanade J4, 13002 Marseille.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Alexandrie antique et moderne au MuCEM