FRANCE
Le spécialiste du développement international des musées décrit les dynamiques en jeu dans un marché porté par une forte demande.
Normalien, agrégé d’histoire, Alexandre Colliex dirige depuis 2018 la filiale Manifesto Expo de l’agence de conseil Manifesto. Auparavant il a été chef du service international à la Région Pays de la Loire, délégué au développement international du Centre Pompidou puis de la Fondation Giacometti. Il a dirigé le « CTF Art Museum Project » à Hongkong.
Ce sont des expositions montées à partir d’une collection permanente – parfois complétées avec des œuvres issues d’autres fonds – qui sont organisées dans un autre lieu, en contrepartie d’une rémunération. Généralement on essaie, une fois que le partenariat est noué avec le lieu d’accueil, d’avoir une ou deux autres étapes afin de mutualiser les coûts de transport. Par exemple, s’agissant du Mamac de Nice, l’exposition actuelle « Les amazones du pop » va aller ensuite, par notre entremise, en Allemagne puis en Autriche jusqu’à l’été 2022.
Oui, et là diverses configurations sont possibles : un musée fermé temporairement pour travaux (la Fondation Bemberg à Toulouse), un fonds important dans un thème donné qui permet des « prêts » sans vider l’exposition permanente (le Mamac à Nice, le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg) ou des fondations sans lieu véritable d’exposition qui font voyager leurs collections (la Fondation Roberto Longhi).
Les budgets se situent dans une fourchette moyenne entre 1 et 3 million(s) d’euros (mais cela peut monter à 12 millions ou plus) et dépendent des prestations fournies. Cela va du prêt d’œuvres à la réalisation du catalogue en passant par le transport et les assurances. À noter que, en principe, les œuvres ne sont pas louées, elles sont « prêtées », c’est la conception de l’exposition qui est rémunérée. Les prix sont « bornés » par la fréquentation payante espérée par le lieu d’accueil et, dans certains cas, l’apport de mécènes ou sponsors.
Il progresse fortement en raison de la création de lieux partout dans le monde, notamment en Chine. Dans les pays du Golfe, l’Arabie saoudite est en train de construire des dizaines de musées, Doha [au Qatar] en compte trois ou quatre, et bien sûr Abou Dhabi avec le Louvre. Tous ces lieux ont des moyens et la volonté de briller internationalement avec une programmation renouvelée. À l’inverse, les portes se sont refermées dans des pays comme le Brésil en raison de la crise politique et économique. Des chiffres ? on est passé de zéro exposition à partir de collections françaises il y a vingt ans à une dizaine par an.
De nouveaux opérateurs privés ont leur place tels Manifesto, Tempora ou Culturespaces. Cela paraît surprenant pour la France où, depuis Mazarin, la culture est un bastion de la puissance publique et où les expositions sont organisées essentiellement par le secteur public. En Italie, les expositions sont majoritairement organisées par des entreprises privées dans des musées publics qui les accueillent. Ces producteurs italiens montent aussi des expositions à l’étranger, parfois à partir de collections françaises. Au Japon, en Corée du Sud, ce sont les médias qui produisent les expositions, en venant faire de temps en temps « leur marché » en France.
Les grands noms bien sûr, mais cela varie d’un pays à l’autre. Cela peut être lié au fait qu’un artiste illustre depuis des années la couverture d’un manuel scolaire. Pierre Soulages avait très bien marché au Centre Pompidou pour sa rétrospective des 80 ans, mais très peu à Berlin. Je constate aussi que l’évolution des mœurs commence à rendre problématique la présentation de certains peintres, comme Gauguin et sa période tahitienne. Il y des interrogations naissantes sur Picasso et son rapport avec les femmes. La tendance la plus marquante est cependant liée au numérique, les expositions doivent être visitables à distance.
J’ai longtemps travaillé au Centre Pompidou et je connais donc bien le monde des musées pour avoir aussi beaucoup séjourné à l’étranger. À l’invitation d’Hervé Digne [président de Manifesto], j’ai voulu créer une équipe spécialisée en m’adossant au groupe pour bénéficier de ses compétences dans le domaine artistique et culturel. Ce savoir-faire est indispensable pour créer de la confiance avec le musée qui va prêter ses chefs-d’œuvre. Nous avons monté une exposition sur le surréalisme qui se tient actuellement au Musée des beaux-arts de Hongkong à partir des collections du Centre Pompidou et avec l’aide de Didier Ottinger, ceci sans qu’aucun conservateur du Centre n’y soit allé en raison du Covid – une belle preuve de confiance.
Nous avons aussi une bonne connaissance des œuvres ou collections disponibles dans le monde, ainsi que des compétences des conservateurs, ce qui nous permet de proposer des expositions possibles et de personnaliser la prestation intellectuelle. Nous savons négocier avec les assureurs, dont les contrats sont devenus d’une complexité effroyable, et choisir les bons prestataires pour l’acheminement des œuvres. Ce dernier point est essentiel, surtout quand les œuvres arrivent de différents lieux, ce peut être un ballet d’une chorégraphie inouïe.
Il n’y a pas une mais quatre expositions, car le fonds de cette fondation a trois points forts : la Renaissance, l’impressionnisme et l’art moderne. L’une s’est tenue à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, et les trois autres se dérouleront à San Diego (Californie), Houston (Texas) et Shanghaï à partir de cet automne.
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Alexandre Colliex : « Le marché des expositions clés en main augmente rapidement »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Alexandre Colliex, directeur de Manifesto Expo : « Le marché des expositions clés en main augmente rapidement »