Depuis un an, l’artiste a retrouvé ses crayons, feutres et pinceaux, abandonnant pour un temps ses « chats » pour les entrelacs. Mais rien n’est jamais définitif...
Alors qu’Alain Séchas expose son « Rêve brisé » jusqu’au 24 août au musée Bourdelle à Paris, prenant place dans la grande salle des volumes mais aussi dans l’atelier du maître sculpteur, on avait envie d’aller voir comment étaient nées toutes ces nouvelles pièces.
La visite de l’atelier d’Alain Séchas est presque aussi perturbante que celle de son exposition. L’espace de travail laisse poindre à peine quelques pinceaux et pots de peinture, un seul mur porte les stigmates récents d’un exercice pictural, pas ou peu d’œuvres. L’ensemble est impeccablement rangé, et le maître des lieux tout aussi délicieusement flegmatique. Des armoires, une grande table, beaucoup plus de murs que la dernière fois dans cet espace lumineux à taille humaine, l’atelier est calme, libéré de tout ordinateur et de toute information. Des catalogues, des références et les siens, qu’il offre avec plaisir. Le dernier est un petit bijou, en page centrale, des pièces s’agitent et se mettent à l’ouverture. Le pop-up noir et blanc est la pièce maîtresse de cet ouvrage raffiné, à l’image de sa nouvelle aventure.
Séchas sans ses chats ?
Alain Séchas a commencé son activité d’artiste en 1983 à Metz, alors qu’il enseignait dans le secondaire. Dès les premières années de formation à l’École normale supérieure technique, il pressentait déjà son destin d’artiste. Ce sera tout d’abord la peinture et, presque simultanément, des installations, dont un fameux mannequin la tête à l’envers prise dans une bassine (1985). On a même revu l’hiver dernier dans l’exposition « Jardin-Théâtre-Bestiarium », au Fresnoy, un surprenant parterre de choux en cuir clouté.
Mais le succès d’Alain Séchas vient de son bestiaire dessiné qu’il initie dans les années 1990. Puis des chats à partir de 1997. Ses personnages blancs au trait simplissime, toujours coincés dans des situations dérisoires, et un sens de la chute aussi décalé que redoutable.
Lorsqu’on arrive à l’atelier d’Alain Séchas, niché au sein d’un ensemble immobilier récent du Sud parisien, on s’attend à trouver des chats. Des chats dessinés, des chats sculptés, des chats, des chats, des chats... D’ailleurs, la même attente est palpable au musée Bourdelle où il expose depuis le printemps. Mais voilà, point de félins à l’horizon. À peine voit-on quelques maquettes de sculptures monumentales rangées en haut d’une étagère où pointent un ou deux minois de matous. Comme des petits grigris.
« Je voulais casser une sculpture »
Mais depuis un an, Alain Séchas s’adonne à la peinture, à un geste débarrassé de l’anecdote et du bon mot, où le chat brille par son absence. De l’extérieur, cette nouvelle direction se lit comme une prise de risque, un pari. Pour l’artiste, assis tranquillement à sa table de travail, l’abstraction à laquelle il est parvenu n’exclut rien. « À un moment, on ne voyait plus que les chats. Je veux rester dans l’art et j’ai senti que le chat m’échappait. »
Du coup, fini les dessins au feutre sur papier blanc qui étaient ensuite agrandis à grande échelle et peints par un assistant. Désormais, le rétroprojecteur est remisé contre un mur, envahi petit à petit par d’autres projets. On aurait dû sentir le vent venir lorsque, l’an dernier, Séchas avait intitulé une exposition au Frac Basse-Normandie, « Last Cats ». Ça sentait la fin.
Mais il n’y a rien de définitif : « Je refuse de bloquer une situation », dit l’artiste en sortant un dossier avec les photos de deux projets de sculptures publiques, des chats impertinents, l’une pour Cologne (un totem de chatons) et la seconde pour le festival de Sonsbeek aux Pays-Bas. Il ne les réalise pas lui-même. Un atelier spécialisé, avec lequel il travaille depuis des années, réalise études préparatoires et sculptures. La même équipe a d’ailleurs réalisé l’étonnante sculpture cinétique que Séchas a placée dans le hall des plâtres à Bourdelle. Le lien avec l’ancienne vie, a-t-on envie de dire. Mais avec élégance, il nous reprend pour bien préciser qu’il ne s’agit pas d’un chant du cygne, même si cette nouvelle pièce est presque une synthèse de ses précédentes expérimentations électromécaniques.
« Ça faisait un moment que je voulais casser une sculpture », c’est une œuvre de Bourdelle de 1914 qui en fait les frais. Attention, soyons clairs, il ne s’agit pas pour lui de la ridiculiser. Il sort alors d’une étagère trois petits morceaux de polystyrène un peu maladroits, la première ébauche du Centaure mourant 2.0 qui tombe « tous les quarts d’heure de l’heure », comme le précise le cartel. Vous irez voir. Les petits bouts s’articulent à l’aide de sparadrap avec une précision touchante tant l’objet est fragile. Surgissent à l’esprit toutes les grandes sculptures cinétiques qui ont fait le succès de Séchas.
Mais on sent bien qu’il n’est plus là-dedans. Il avance avec beaucoup de modestie les précisions de son retour à la peinture. Beaucoup de prudence aussi, il sait combien la peinture est connotée ces temps-ci : « Quand on dit peinture ou dessin abstrait en ce moment, on sous-entend figuratif, mais l’abstraction n’est pas une fantaisie pour moi. »
Dans une caisse, une Martienne
On retrouve bien son intérêt pour les questions d’échelle et de format dans les œuvres déployées au musée Bourdelle, elles sont désormais étroitement liées au faire. Séchas raconte avec un plaisir contagieux ce désir d’en découdre avec le geste, le trait, mais cette fois-ci coloré, intuitif, affranchi de la narration. Dans sa voix posée, on distingue la délectation de ne plus se frotter pour l’instant à ce qui était presque devenu un exercice.
On découvre un autre plaisir à mesure qu’il fait son marchand de couleurs, entre ses feutres multicolores acryliques à gouache de la marque Posca, une multitude de pinceaux neufs n’attendant que son bon vouloir. Ces outils-là, il les manipule avec gourmandise et une sérieuse envie de les pratiquer. Depuis peu, il est passé à la verticalité. Ses premières abstractions, il les faisait à plat, sur des formats carrés qui lui permettaient de faire tourner le support et d’adopter un all-over très pragmatique. Les lignes se mélangent, s’arc-boutent, créent un maillage dense et dynamique, s’exercent sur différents matériaux, du papier au carton, et bientôt la toile. Les toiles sont là, juste à côté, déjà tendues, elles attendent.
Et à ceux qui soupçonnent un second degré ravageur à l’encontre de l’abstraction, fausse route. L’œil de Séchas s’assombrit un peu. Il est bien conscient de prendre les spectateurs à rebours, mais il ne fait pas un « coup ». Il le martèle avec douceur mais fermeté. Il lui fallait assouvir ce besoin de retourner à l’échelle 1, ne plus déléguer, laisser agir directement sa volonté.
Petit à petit, les cartons s’ouvrent et laissent s’échapper les dernières productions. Des petites gouaches. Rien de secret ou de mystique là-dedans, la simplicité domine, et c’est bien pour cela qu’elle déroute autant. Il est question d’honnêteté. Dessins ou peintures, tous sont réalisés sans schémas préétablis. On découvre de plus en plus de nouvelles œuvres, délicatement rangées. La peinture n’est pas une lubie, c’est de plus en plus évident. Et si les figures et les histoires brillent par leur absence, les titres Critérium, Gobelins, Grigri ou Plaisir témoignent de l’acuité verbale qui faisait mouche dans les précédents travaux et demeure intacte.
Arrive l’heure d’ouvrir une des deux caisses qui viennent à peine d’être livrées. En sort une Martienne ultra-sexy, jolie poupée de quelque soixante-dix centimètres en verre dépoli de couleur verte. Une édition du maître verrier Daum. Il y a un peu plus d’un an, lors d’une précédente rencontre avec l’artiste, il travaillait déjà sur ce multiple, un casse-tête pour obtenir ce résultat.
Malgré le plaisir qu’a l’artiste de découvrir cette petite merveille aux yeux d’émail hypnotisants, on sent résolument qu’il est bien passé à autre chose. Il aimerait en découdre bientôt avec la peinture à l’huile. Il l’avoue avec une petite pointe d’impatience. Si; pour lui, le terme de charnière, qu’on est tenté d’apposer à ce tournant artistique, n’est pas juste, celui de recommencement, qu’il préfère, a tout d’une renaissance.
1955 Naissance à Colombes. 1975 École normale supérieure technique. 1983 Premières sculptures. 1996 Biennale de São Paulo (Brésil). 1997 Premier chat. 2001 Monographie au MAMC de Strasbourg. 2005 Inauguration de La Cycliste à Bruxelles. 2008 Exposition « Rêve brisé », jusqu’au 24 août 2008, au musée Bourdelle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Alain Séchas, la renaissance d’un peintre
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : Alain Séchas