La Biennale des antiquaires se tient cette année encore sous la nef du Grand Palais. Quatre-vingts galeristes et sept joailliers y dévoilent des pièces maîtresses qui permettent de parcourir toute l’histoire de l’art, de l’Antiquité à nos jours.
1 Un dieu au double ADN grec et bouddhique
Vajrapani est l’un des huit grands bodhisattvas, représenté en protecteur du Bouddha. Cette imposante tête d’une hauteur de 64 centimètres provient d’une grande chapelle de la région de Bamiyan, en Afghanistan. De style gandhara, elle s’inspire des représentations hellénistiques d’un Zeus ou d’un Poséidon. Un syncrétisme gréco-bouddhique s’est en effet développé en Afghanistan et au Pakistan au cours des siècles qui suivirent l’expédition d’Alexandre le Grand.
Les traits de Vajrapani sont marqués pour montrer qu’il s’agit d’un homme mûr, tandis que sa barbe imposante témoigne de sa virilité. Parmi les quelques éléments bouddhiques du visage, le lobe des oreilles est légèrement allongé en signe de sagesse. La bouche est quelque peu entrouverte pour suggérer que la divinité est en train de souffler, symbolisant la parole bouddhique. De très haute dimension, ces sculptures en terre cuite étaient façonnées sur place. La résistance du matériau a permis un très bon état de conservation.
2 Jusqu’en Iran, un éléphant ça voyage énormément
Aux XIIIe et XIVe siècles, l’Iran est sous l’emprise des Mongols. Les céramiques d’époque il-khanide, du nom de la dynastie régnant alors, sont fabriquées à Kashan, mais ont pratiquement toutes été retrouvées à Sultanabad, située au centre du pays. L’influence de la Chine, transmise par les envahisseurs mongols, se voit en général dans les motifs employés comme le lotus, le phœnix ou le canard.
Or l’iconographie de cette coupe se révèle atypique par la présence centrale d’un éléphant, qui rappelle l’Inde. On sait que des objets provenaient aussi de ce pays, traversant les steppes asiatiques. Attelage de prestige, l’éléphant était à l’époque monté par les souverains, ce qui atteste de l’appartenance de cette coupe à un membre de la cour.
Dans un pays où les sculptures en ronde-bosse n’existaient pas et où l’emploi de l’or et de l’argent était prohibé par le Coran, la céramique était considérée comme un art majeur. Elle faisait l’objet des recherches techniques les plus variées et d’une exécution très soignée du décor.
3 Neri di Bicci, héritier du gothique international
Dans la peinture ancienne, il est courant d’être confronté à des familles d’artistes. Neri di Bicci, né à Florence en 1419, fait partie d’une prestigieuse lignée. Il est le fils de Bicci di Lorenzo et le petit-fils de Lorenzo di Bicci… Comme ses aïeux, Neri di Bicci demeure influencé par le style gothique international propre au Trecento, tout au moins au début de sa longue carrière qui durera quarante ans.
Fidèle aux motifs dits « archaïques » dans ses premiers tableaux, utilisant des fonds d’or et des schémas traditionnels, il regardera par la suite davantage du côté des artistes comme Fra Angelico ou Filippo Lippi. Non seulement son œuvre fut très abondante, mais son atelier fut fréquenté par de nombreux peintres venus compléter leur apprentissage.
Neri di Bicci détailla l’ensemble de ses activités entre 1453 et 1475 dans l’ouvrage Ricordanze, aujourd’hui conservé au musée des Offices de Florence. Ce livre constitue un témoignage unique sur les pratiques artistiques florentines au XVe siècle.
4 Patel l’Ancien, chantre du paysage « porcelainé »
Né en 1604, ce peintre n’est à pas confondre avec son fils, Pierre Patel le Jeune, dont il circule un plus grand nombre de tableaux. Pierre Patel l’Ancien fut l’un des grands paysagistes du milieu du xviie siècle, avec Laurent de La Hyre et Henri Mauperché. Très apprécié de son vivant, il était recherché par les collectionneurs et a participé à d’importants chantiers, comme celui du cabinet de l’Amour, de l’hôtel Lambert. Dans la lignée de Claude le Lorrain, il peint de calmes représentations arcadiennes.
Si le paysage était en réalité le sujet principal du tableau, Patel y ajoutait volontiers une scène biblique, afin qu’on le considère comme une peinture d’histoire. Il donnait de la nature une vision empreinte d’une pureté et d’une clarté chères aux artistes pétris de culture antique, que l’on nommait à l’époque les atticistes. Cette poétique des ruines baignait dans une gamme de tons bleutés, mâtinés d’une couche de glacis qui a conféré le terme de « porcelainé » à sa facture.
5 Cheval noir sur fond blanc
En 1936 fut exposé à la galerie Paul Rosenberg l’exact pendant de ce dessin, un cheval blanc sur fond noir. Quand il exécute cette feuille en 1882, Georges Seurat est âgé de 23 ans. Il commence seulement à peindre, mais témoigne déjà d’une grande maîtrise du trait. Il découvre à l’époque le papier à grain qui, employé avec un crayon Conté gras, moins volatil que le fusain et proche du pastel, permet d’accrocher davantage la feuille et de faire naître ses fameux « veloutés ». Le rendu poudreux confère plus de volume. Le contraste entre le noir profond et la réserve du papier renforce également le halo de lumière qui semble émaner ici du cheval.
Comme on le constate aussi dans son travail pictural, la perception de l’œuvre s’avère totalement différente en fonction de la distance d’observation. Cette technique se révèle particulièrement recherchée et appréciée des collectionneurs. Les amateurs américains nomment ces types de travaux des « Wall Power ».
6 On peut aussi y ranger des livres…
Les lignes sont droites, essentielles, parfaites. Plus de quatre-vingts ans après sa création, cette bibliothèque étonne par sa modernité. Les acteurs du mobilier Art déco avaient en horreur les courbes et les décorations florales trop chargées de l’Art nouveau. On se souvient aussi que le cubisme était passé par là quelques années auparavant…
La galerie Vallois présente un ensemble rétrospectif de trente-cinq pièces couvrant vingt ans de carrière de Jean Dunand, actif à partir de 1913. Les meubles aux formes strictes et les vases aux motifs géométriques ont été privilégiés aux décorations animalières que le laqueur et dinandier réalisa également.
Cette bibliothèque a probablement fait l’objet d’une commande, car il n’en existe pas d’autre connue ou répertoriée. Elle fut exposée pour la dernière fois au public dans les années 1970, avant de partir dans une collection étrangère. Cette rétrospective rend hommage à l’atemporalité de l’œuvre.
7 La trilogie féminine selon le peintre britannique Francis Bacon
Le triptyque a souvent été employé par le peintre anglais Francis Bacon (1909-1992). Inspiré en partie du cinéma, en partie des séquences photographiques de Muybridge, il lui permettait de « rendre la vie dans toute sa force ».
Datant de 1970, ce triptyque représente des figures féminines, nues et difformes. Elles sont placées sur un fond rose, clair, qui ne donne aucun contexte spatial à la scène. Bien différenciées du fond, elles sont comme sacralisées, iconisées par le sujet de sa majesté. Les membres des deux personnages extérieurs semblent être quasiment aspirés par la rampe-armature qui traverse et relie les trois toiles, tandis que le personnage central trône sur un carré de toile laissé vierge, telle une sculpture sur son socle.
À la même époque, le peintre Francis Bacon surhausse beaucoup ses personnages, inspiré par des représentations du Christ en croix (Crucifixion) ou du pape (Portraits d’Innocent X d’après Vélasquez). Ses triptyques ne sont ni logiques ni narratifs. Ils ne racontent pas une histoire. Ils lui servaient simplement à exploiter et inventer de nouvelles techniques d’expression picturale.
Informations pratiques.
La XXVe Biennale des antiquaires, du 15 au
22 septembre 2010. Grand Palais, Paris. Tous les jours, de 11 h à 20 h, jusqu’à 22 h les 16 et 21 septembre. Tarif : 25 s. www.bdafrance.eu
Le dixième prix SNA du livre d’art.
Remis le 16 septembre, il récompense, parmi une sélection de 20 titres, l’ouvrage qui, par sa qualité et
son apport à la recherche, contribue particulièrement à la diffusion du patrimoine artistique. Le lauréat est désigné par un jury de professionnels de la culture et par le public. La haute joaillerie. Dans un patio agrémenté de fleurs, sept grandes maisons, dont le joaillier Chanel, présentent leurs créations. Tremplin pour la Biennale. 25 jeunes marchands présentent chacun une pièce reflétant leur vision du métier d’antiquaire. Un objet « coup de cœur » sera désigné. Exposition Regards sur la Biennale. Archives, photos et vidéos retracent les 24 précédentes éditions de la Biennale.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
7 clefs pour apprécier la Biennale
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : 7 clefs pour apprécier la Biennale