Paris entre 1860 et 1900 : rarement une métropole fut transformée aussi radicalement. Les peintres impressionnistes et les photographes observent la métamorphose de la ville et expriment les nouvelles conditions de vie de ses habitants.
Paris n’a jamais été autant transformé que pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Napoléon III, au pouvoir depuis 1852, veut moderniser la ville. Dès 1853, le gouvernement se lance, pour vingt ans, dans une ambitieuse politique de remodelage de la cité ayant pour objectif d’apporter aux Parisiens « de l’eau, de l’air et de l’ombre », mais aussi de contrôler une capitale dont les soulèvements populaires ont renversé plusieurs régimes depuis 1789. Il nomme le baron Haussmann, préfet de la Seine, pour diriger ce projet urbain et politique. Le réaménagement de la ville aboutit à la destruction de quartiers entiers et parachève la mort du vieux Paris. Au nom du progrès, les vieilles rues sont remplacées par des boulevards rectilignes interconnectés par d’immenses places et ponctués de monuments prestigieux.
Pendant le Second Empire et la IIIe République, la capitale se gonfle de ses banlieues périphériques de telle sorte qu’elle atteint quelque 2,5 millions d’habitants à la fin du siècle. Le nouveau Paris devient une ville de promenades et de lumière, construite sur la richesse et la ségrégation sociale, rejetant une population déshéritée, contrainte de vivre aux portes de la ville.
Alors que se déroule cette mutation urbaine, un groupe de jeunes artistes est à l’origine d’une révolution artistique. Le développement économique de cette période a aussi changé l’état d’esprit des artistes qui souhaitent renouveler les thèmes de la peinture et représenter la nature et la vie de leurs contemporains. Ces peintres se nomment Monet, Renoir, Manet, Degas, Caillebotte, Luce, autant de noms illustres de l’histoire de l’art, autant de témoins de cette modernité industrielle.
La gare, symbole de l’architecture industrielle
Le 2 juin 1867, lors de l’Exposition universelle, Napoléon III inaugure les nouvelles extensions de la gare Saint-Lazare devenue la plus importante de Paris. Symbole de modernité et de liberté, la gare devient le thème favori des peintres impressionnistes en quête de sujets nouveaux. « Les gares d’aujourd’hui sont les cathédrales d’hier… nos artistes doivent trouver la poésie des gares comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves », écrit Émile Zola pour souligner la vogue des thèmes ferroviaires.
C’est dans le quartier de la gare Saint-Lazare que vivent artistes et intellectuels. Manet a son atelier dans le quartier de l’Europe, Zola habite les Batignolles. Manet peint la gare Saint-Lazare en 1874, puis c’est au tour de Monet, en 1877, de planter son chevalet dans le hall de la gare et de peindre plusieurs toiles sur ce thème. Monet veut rendre l’impression visuelle que lui inspire l’ouvrage, le travail de la lumière incidente sur le sujet, tandis que le regard de Manet, quand il peint Le Chemin de fer, représente un paysage urbain réduit à l’essentiel. Il ne compose pas de manière harmonieuse la réalité sociale, il la dissocie au contraire en éléments discordants.
À proximité de l’édifice, le pont de l’Europe et sa structure métallique inspirent Caillebotte. Sous son pinceau, l’ouvrage devient une masse gigantesque et imposante, métaphore de l’industrialisation étouffante et de la fulgurance de la modernité.
À travers ses toiles comme Le Pont de l’Europe ou Rue de Paris, temps de pluie, Caillebotte observe un Paris qui se transforme en capitale moderne, tandis que les ruelles crasseuses et embouteillées cèdent à un nouvel ordre orthogonal d’avenues plantées d’arbres. Ces nouveaux boulevards qui affichent leur froide ordonnance le fascinent. Il restitue cet univers avec précision dans une peinture réaliste et lisse.
Comme Caillebotte, Degas, flâneur impénitent, réalise ses tableaux à partir de ce que lui offre fortuitement sa ville. Son œuvre constitue une analyse artistique du modernisme. Il peint sans concession le Paris moderne avec ses cafés, ses boulevards et ses théâtres, ses opéras et ses champs de courses. Paris est devenu une ville d’échanges, de jouissances, de jardins, une ville qui mène vers les lieux de plaisir. La France à l’âge de la modernité bannit les couleurs sombres. La banlieue et la campagne préservées de l’industrialisation deviennent les thèmes favoris. Les impressionnistes illuminent de leur palette les paysages de bords de Seine où la baignade et le canotage sont des activités prisées. La paix et la joie s’opposent à la peine et aux turbulences sociales. Renoir peint la jeunesse insouciante et sensuelle. Sa peinture ignore la tristesse... Le Moulin de la Galette, une de ses œuvres majeures, s’attache à rendre l’atmosphère bruyante et joyeuse de cet établissement de la butte Montmartre.
La photographie au service d’une ambition politique
Le Second Empire coïncide avec l’essor de la photographie. Napoléon III a de l’intérêt – plus politique que personnel – pour ce nouveau médium. L’empereur veut faire de son règne celui du progrès scientifique, social, industriel et artistique. La photographie comme instrument de propagande va servir ses ambitions. C’est le moyen moderne qui fixera pour l’histoire l’image d’un règne moderne. Il va la développer grâce à des commandes d’albums auprès de photographes effectuées par lui-même ou par son ministère. Si certains ateliers se développent de façon indépendante, de nombreux autres reçoivent des subventions officielles. Conscientes de l’utilité de la photographie, les administrations se dotent de services propres ou font appel à ces ateliers privilégiés. Ces services ont une mission commune : rendre compte des actions menées par l’empereur dans les domaines les plus divers.
Les photographes sollicités par le régime sont légion. Parmi eux, on retrouve Gustave Le Gray, probablement le photographe le plus talentueux de son siècle. Il se définit comme « peintre d’histoire » et fait partie de la Commission historique de Paris, créée par Haussmann en 1860. Il réalise de nombreux portraits de la haute société et de la famille impériale et effectue même une sorte de « reportage » photographique sur Napoléon III. Il produit une série de très grands négatifs de la capitale. Ses monuments et ses vues de la Seine sous des ciels juxtaposés donnent de Paris une image particulièrement poétique.
Son homologue Charles Marville est aussi « photographe de la Ville de Paris ». Celle-ci le charge de photographier, en 1865, les rues appelées à disparaître puis, en 1877, les avenues nouvelles. Ses photos, qui fixent l’avant et l’après-Haussmann, sont non seulement d’une grande beauté, mais d’une importance documentaire capitale. Elles racontent la plus grande transformation qu’une ville ait jamais connue.
Pour Eugène Atget, en revanche, la finalité de l’utilisation de la ville comme objet d’histoire diffère. Dans ce contexte historique, il utilise la photographie comme un moyen de sauvegarde, et l’évocation de certains objets est déterminée par la menace qui pèse sur eux. Atget ne montre jamais les nouveaux quartiers Haussmanniens, se focalisant exclusivement sur les édifices du vieux Paris. Son approche méticuleuse offre l’avantage de restituer un véritable parcours. Il intègre à la topographie de la vieille ville son tissu urbain dont la spécificité est, selon lui, indissociable du vieux Paris. Dans ses représentations d’édifices, par exemple, il ne réalise pas une photo frontale, mais fournit une vue oblique qui permet d’appréhender le tissu dans lequel les constructions s’inscrivent.
Édouard Baldus, quant à lui, a su imposer sa sensibilité esthétique à des éléments d’architecture, et le résultat est d’une fascinante intemporalité. En tout état de cause, quelle que soit leur inclination, les photographes et le pouvoir partagent la même certitude : la photographie a un pouvoir de conviction et a valeur de témoignage.
1853 Des grands projets de modernisation de Paris sont engagés par le baron Haussmann, nommé préfet de Seine par Napoléon III.
1859 Une réforme intègre huit nouveaux arrondissements et les bois de Boulogne et de Vincennes.
1860 Création de la « commission historique » par Haussmann qui missionnera Gustave Le Gray et Charles Marville pour photographier Paris.
1867 Inauguration des nouvelles extensions de la gare Saint-Lazare.
1874 Première exposition impressionniste à Paris.
1900 Première ligne de métro.
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1860-1900, Paris… s’éveille
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Première métropole des temps modernes. Paris au temps des impressionnistes », jusqu’au 30 janvier 2011. Musée Folkwang, Essen. Du mardi au dimanche de 10 h à 20 h. Vendredi jusqu’à 22 h 30. Fermé le lundi, 24 décembre et 1er janvier. Tarifs : de 7 à 12 euros. www.museum-folkwang.de
La nouvelle Essen. Représentante de la Ruhr comme région de la culture 2010, Essen en Allemagne se démarque par son dynamisme dans la transformation de son imposant patrimoine industriel en lieux de culture. Inscrit au patrimoine de l’Unesco, l’ancien complexe minier Zollverein fermé en 1986 a par exemple été réhabilité en espace d’expositions et de spectacles. Dans cette architecture d’inspiration Bauhaus, le Ruhr Museum, inauguré en 2010, présente une exposition sur « La nouvelle Ruhr. Images d’une transformation ». www.essen.de
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°631 du 1 janvier 2011, avec le titre suivant : 1860-1900, Paris… s’éveille