Festival - Photographie

Vous avez dit moderne ?

Par Alain Dister · L'ŒIL

Le 1 juillet 1999 - 1916 mots

Le 7 juillet s’ouvrent en Arles les Rencontres internationales de la Photographie, placées cette année sous le signe consensuel mais discuté de la modernité. Parmi la kyrielle d’expositions et d’hommages, L’Œil a choisi dix moments forts de cette trentième édition.

Juillet 1969. Dans la cour de l’archevêché d’Arles, une bande de copains fous de photo regardent une projection de diapositives sur un drap tendu devant quelques chaises. Ils veulent simplement se faire plaisir en se montrant leurs travaux, et en les confrontant avec ceux des photographes qu’ils admirent. Rencontres de talents, chocs d’idées, révélations d’inconnus... L’idée d’un premier festival consacré à l’image est en train de passer du projet nébuleux à la réalisation. À l’origine de cette idée, on ne trouve que des gens du pays : Lucien Clergue, qui vient tout juste de publier son premier livre, Née de la vague, hommage aux beautés brunes des bords de la Méditerranée ; Jean-Maurice Rouquette, conservateur de musée et expert en antiquités romaines ; Agnès de Gouvion St Cyr, qui deviendra responsable de la photographie au ministère de la Culture. Jean Dieuzaide, venu de Toulouse et possédant déjà une bonne réputation de grand reporter, se joint au groupe. En comptant leurs amis, ils ne sont pas plus d’une centaine à assister à cette première projection à l’archevêché. Depuis, il y en a eu d’autres, dans le plus vaste Théâtre antique. Elles furent parfois calamiteuses – matériel en panne, diapos ne passant pas, écran en feu, rigolos qui défilent au pas d’Aldo Maccione – souvent glorieuses dès lors qu’apparut la musique, orchestres de jazz et de blues imprimant leur rythme au défilé des images. Les grands moments sont évoqués par les anciens, ils écrasent la larme de la nostalgie à l’ombre des micocouliers. Mais en trente ans, Arles a changé. Les soirées ne connaissent plus ces batailles d’Hernani qui pimentaient les conversations du lendemain. Le public a rajeuni, s’est assagi. Les monstres sacrés se font rares. Les événements sont devenus plus didactiques que provocateurs. Face à la concurrence de nouvelles manifestations, comme le Printemps de Cahors ou Visa pour l’Image à Perpignan, Arles a choisi de jouer la prudence en favorisant les approches classiques de la photographie. À l’heure des bouleversements imposés par le multimédia, les Rencontres sont ainsi devenues un point d’ancrage où les certitudes l’emportent le plus souvent sur les interrogations. Le thème de cette année, choisi par Gilles Mora, son directeur artistique, « Les modernités », s’inscrit dans ce sens. Le cru 1999 est certes une bonne leçon d’histoire, une manière de clore le siècle en rendant hommage à ceux qui ont su en bouleverser la vision. On peut toutefois regretter que ce merveilleux concept de modernité ne soit pas ici développé dans des perspectives plus contemporaines. Les nouveaux enjeux, tels que l’image numérique, sont accueillis avec beaucoup de réserve, voire d’hostilité, par ceux qui se disent photographes. Aux Rencontres d’Arles, l’attachement aux techniques traditionnelles du tirage sur papier baryté reste fort. D’une confrontation avec un média résolument moderne pourrait cependant naître de nouvelles perspectives. Quel est en effet l’avenir de la photo telle qu’on la conçoit ici ? Faut-il interpréter comme une menace la nouvelle donne technologique ? Bref, quel est l’état de la « modernité » juste avant l’an 2000 ? Et jusqu’à quel point remet-elle en question celles qui l’ont précédée ? Il est sans doute plus rassurant de questionner le passé, mais nous aurions aimé que le bel aujourd’hui soit davantage présent dans ces trentièmes Rencontres internationales de la Photographie.

Les abstractions et la photographie
Peu de photographes se sont refusés le plaisir d’explorer le domaine de l’abstrait. À partir d’un certain cadrage, d’un agrandissement, le détail cesse d’appartenir au monde du visible reconnu pour entrer dans celui de la pure construction géométrique. Le travail en laboratoire, encore plus que la prise de vues, incite à ce genre d’exploration formelle. Vient ensuite le désir d’utiliser la lumière comme matière première pour dessiner la forme. En puisant dans les collections du Musée national d’Art moderne – décidément propices à maints travaux compilatoires – Alain Sayag a réuni de nombreux exemples de ces démarches, des tirages de Paul Strand et Laure Albin-Guillot aux rayogrammes de Man Ray et Laszlo Moholy-Nagy. En complément, Lucien Clergue présente en soirée ses propres recherches sur les abstractions « naturelles » (mais tout de même déterminées par ses cadrages) qui apparaissent dans le sable des plages de Camargue.
Espace Van Gogh, 8 juillet-15 août.

The Human Touch
Sous ce titre que l’on dirait emprunté, de manière incongrue, à Bruce Springsteen, se cachent les performances des actionnistes viennois durant les années 60. On se souvient comment Otto Muehl et ses amis Hermann Nitsch, Günter Brus et Rudolf Schwarzkogler avaient choqué la bonne société autrichienne par la crudité et la violence inouïes de leurs mises en scène, des sacrifices d’animaux jusqu’à l’automutilation. Réduites à l’image fixe, ces actions perdent quelque peu de leur caractère sulfureux. Présentée lors de la dernière FIAC, une bonne part de ces photographies, même accompagnées de films, n’avaient d’ailleurs guère soulevé de réactions. Seule l’apparition impromptue le soir du vernissage d’un néo-actionniste pissant sur les invités pourrait évoquer un peu le climat qui régnait autour des performances des artistes viennois. Le public d’aujourd’hui est-il seulement capable d’encore s’en émouvoir ? On en a vu tellement d’autres entre-temps...
Chapelle Saint-Martin du Méjan, 8 juillet-15 août.

Flous et modernités
Ô combien agaçante nous apparaît cette apologie du flou, quand il existe tant de beaux appareils qui vous prennent des images au 4 000e de seconde sur des films à 6 400 ASA ! Le flou est une mode qui a plutôt bien pris. Il est simplement dommage que l’identité des photographes s’y égare. Bien sûr, une certaine poésie se dégage parfois de ces images captées à basse vitesse. Des formes que l’imagination peut être amenée à recomposer... « En évoquant autant la reconstruction du monde que sa dissolution, (le flou) nous confronte à l’attrait ambigu du devenir », écrit Serge Tisseron, commissaire de cette exposition. Cette « mélodie du flou (qui) nous plonge dans un demi-sommeil où les formes flottantes n’ont pas encore pris leur consistance d’ange ni de fantôme », n’est peut-être aussi qu’un nouvel avatar du pictorialisme, une manifestation de plus de la jalousie qu’éprouvent les photographes vis à vis des peintres...
Le Capitole, 8 juillet-15 août.

De l’archive à la typologie
C’est toujours un bonheur de voir et revoir une rétrospective de Walker Evans, constituée de tirages d’époque comme celle qui fut présentée au Centre national de la Photographie il y a deux ans. Comme plus tard les Becher, Evans tournait autour de son sujet, réalisant des prises de vues du même objet banal en apparence sous différents angles et ouvertures de diaphragmes. Ah, les Becher ! La plupart des photographes allemands contemporains ont usé leurs fonds de culotte sur les bancs de leur classe, à l’Académie de Düsseldorf. Ayant appliqué à la photo industrielle les règles et les principes de la recherche entomologiste, Bernd et Hilla Becher ont réalisé un nombre considérable de clichés de puits de pétrole et de mines, moulins, silos, hauts-fourneaux, toujours cadrés de la même manière, démarche typologique dont beaucoup se sont inspirés. Mais l’événement de cette thématique est, dans la grande tradition des Rencontres, la venue en Arles de Lee Friedlander, l’un des derniers monstres sacrés de la photographie classique américaine. Une soirée est vouée à l’ensemble de son œuvre, tandis que l’exposition présente un travail de recensement des monuments publics aux États-Unis, résultat d’une commande passée à l’occasion du bicentenaire, en 1976.
Musée de l’Arles antique, 8 juillet-15 août.

Le pont transbordeur et la vision moderniste
Comme beaucoup de structures industrielles au dessin novateur, le pont transbordeur qui enjambait le port de Marseille a servi de motif à ceux que préoccupait la recherche formelle. Chacun l’a interprétée à sa manière, et l’on sera surpris de confronter les regards de Man Ray, Herbert Bayer, Germaine Krull ou Marcel Bovis dans cette exposition montée par Bernard Millet.
Salle Henri Comte, 8 juillet-15 août.

Gotthard Schuh
On espérait depuis longtemps que cette rétrospective soit un jour montée en France. Gotthard Schuh a d’abord été peintre, avant de se consacrer à la photographie de reportage. À partir de 1931, il travaille régulièrement pour les grands magazines d’actualité en images, comme Vu, Paris-Match et Life. Mais, plutôt que de diriger son objectif vers des événements à sensation, il va toute sa vie durant s’attacher au documentaire social, à la vie des gens. En 1951, Edward Steichen ne manquera pas de l’inviter à participer à sa grande exposition, « The Family of man ».
Abbaye de Montmajour, 8 juillet-15 août.

Lucien Hervé
La diaspora hongroise des années 20 nous a légué quelques-uns des plus grands photographes du siècle : Kertesz, Brassaï... Moins connu, Lucien Hervé – né Laszlo Elkan – est devenu tardivement professionnel de l’image fixe. Et ce n’est qu’après la guerre qu’il va enfin se consacrer pleinement à ce qui a fait sa réputation : la photographie d’architecture. Grâce à l’amitié de Le Corbusier, Hervé sera de toutes les aventures, transposant dans ses compositions la liberté, l’imagination, la hardiesse du grand bâtisseur.
Abbaye de Montmajour, 8 juillet-15 août.

Shelby Lee Adams
Avant Walker Evans et Dorothea Lange, Jacob Riis et Lewis Hine avaient tourné leur objectif vers ceux que les photographes oubliaient généralement : les pauvres, les faibles et les réprouvés. Shelby Lee Adams s’inscrit dans cette tradition américaine du regard compassionné. Les montagnards des Appalaches, ses modèles, sont aussi ses concitoyens. Il a vécu parmi eux, et nul plus que lui ne pouvait comprendre pourquoi ils refusent les facilités du monde moderne et s’attachent à préserver leur univers traditionnel.
Abbaye de Montmajour, 8 juillet-15 août.

Avant l’avant-garde
Dès la découverte de la photographie, les opérateurs se sont amusés à en explorer les ressources techniques, mais aussi esthétiques. À nouveau médium, nouvelle sensibilité : la liberté offerte par la caméra permettait d’envisager un affranchissement immédiat par rapport à la peinture académique. Les tâtonnements, les expériences entreprises au hasard par de nombreux photographes à la fin du XIXe siècle devaient déboucher, dès les années 20, dans les recherches formelles plus approfondies et plus méthodiques d’artistes comme Jacques-André Boiffard ou Alexandre Rodtchenko.
Théâtre antique, soirée du 10 juillet.

Mes années 60, Jean-Marie Périer
Ah, le joli temps des idoles des jeunes... S’en souvient-on ? Jean-Marie Périer en fut le chroniqueur attentif, attendri, attentionné dans les pages de Salut les Copains et de Mademoiselle Âge Tendre. Grâce à lui, on pouvait se bercer de l’illusion que les charmants babillages de nos vedettes yé-yé n’avaient rien à envier au merveilleux univers des Beatles. Dans cette mise à niveau esthétique, les jolis minois de Sylvie et des autres l’emportaient parfois sur le look – autrement plus dérangeant – des rockers britanniques. En fait, Jean-Marie Périer ne photographiait pas des musiciens : on imagine qu’il se fichait pas mal du petit talent de ses modèles. Son intérêt le portait sans doute davantage vers une jeunesse qui, pour la première fois dans l’histoire de notre beau pays, osait s’affirmer avec ses rêves, ses fantasmes, sa beauté. Cette jeunesse, il la partageait, c’était la sienne, la nôtre. Par un étrange, mais prévisible, jeu de miroirs, certaines de ses images ont bouleversé notre vie. Ou du moins notre manière de la mettre en scène...
Théâtre antique, soirée du dimanche 11 juillet.

ARLES, différents lieux, 8 juillet-15 août, cat. Actes Sud, 350 p., 250 F. Pour en savoir plus, voir guide pratique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°508 du 1 juillet 1999, avec le titre suivant : Vous avez dit moderne ?

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