LILLE - Voilà bien une exposition qui porte mal son nom : « La route de la soie ». Car la grosse cavalerie exotique du collectionneur britannique Charles Saatchi, exposée jusqu’au 16 janvier 2011 au Tri postal de Lille, est dénuée de toute idée de porosité, de transmission, voire de contamination entre la Chine, l’Inde et le Moyen-Orient.
Une seule œuvre, Arabian Delight de Huma Mulji, souligne les phénomènes d’acculturation effectifs le long de cette voie commerciale. Ce chameau empaillé coincé dans une malle symbolise l’arabisation forcée des ouvriers pakistanais émigrés aux émirats. Alors que pendant longtemps l’identité pakistanaise avait été liée à l’Asie du Sud-Est, son substrat musulman l’assimile de plus en plus au Moyen-Orient. Malheureusement, cette sculpture placée à l’entrée du parcours n’a pas trouvé d’autre écho dans un accrochage synthétisant trois expositions organisées par la Saatchi Gallery à Londres, entre 2008 et 2010. « Nous n’avons pas voulu de discours didactique sur l’idée de la route, mais plutôt un traitement de moments. Il s’agit plus d’un label que d’un vrai titre explicatif », admet Didier Fusillier, directeur du programme Lille3000 dont fait partie « La route de la soie ».
Absence de commissariat
La plus grande faille de l’exposition tient au manque de sélection et de commissariat. Saatchi est coutumier du fait, car aucun des événements de son espace londonien n’est motivé par un vrai propos. « On accroche toujours en fonction de la forme et de la couleur des œuvres », reconnaît Nigel Hurst, directeur de la Saatchi Gallery. Posées ça et là de manière peu inspirée sur les trois niveaux du Tri postal, les œuvres ne dialoguent guère entre elles. Et lorsqu’elles s’aventurent à le faire, les associations restent simplistes. On retrouve ainsi l’esprit primaire du type « la maman et la putain » dans le face-à-face entre les vaudevillesques Prostituées de Téhéran de Shirin Fakhim et dix grandes photos de Shadi Ghadirian représentant des femmes voilées au visage occulté par un ustensile de cuisine, symboliquement réduites au silence et au travail domestique. L’absence de commissariat connaît son point d’orgue dans la dernière salle fourre-tout, dominée par les bons sentiments exsudant des œuvres de l’Indien Jitish Kallat.
Au final, l’accrochage fait penser à une exposition avant-vente de Phillips de Pury & Company, auctioneer qui partage les locaux de Saatchi à Londres. Certains pans sont moins conséquents que d’autres, comme celui consacré à la Chine, car beaucoup d’œuvres exposées en 2008 ont depuis été vendues… L’absence de tamis se perçoit dans la sélection même des pièces. Hormis quelques exceptions notables, comme l’inquiétante assemblée de fantômes en prière de Kader Attia, le travail totémique de Huma Bhabha, l’utopie fragile de la Palestinienne Wafa Hourani, ou le drolatique hospice des vieux leaders politiques ou religieux par Sun Yuan et Peng Yu, les œuvres manquent souvent de finesse. Même d’excellents artistes, comme l’Iranienne Sara Rahbar et l’Indien Atul Dodiya, ne sont présents qu’à travers des échantillons mineurs. La substance, la subtilité et la magie font cruellement défaut à cet ensemble.
Jusqu’au 16 janvier 2011, Tri postal, avenue Willy-Brandt, 59000 Lille, tlj sauf lundi et mardi 10h-19h
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Voie sans issue
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°334 du 5 novembre 2010, avec le titre suivant : Voie sans issue