Dix années d’expositions célébrées par dix architectes invités par la Villa Noailles s’engagent dans le récit de leur production rétrospective, prospective ou actuelle.
HYÈRES - Haut lieu architectural, la Villa Noailles, à Hyères, a voulu rendre hommage à l’art de construire auquel elle doit sa renommée incontestable. Bonne fille, le centre d’art a consacré dix années d’expositions à l’architecture, partageant le lieu avec la mode, le design et la photographie. Célébrer cet anniversaire présentait le risque de sombrer sur le récif de la nostalgie. Un danger d’autant plus grand que les architectes invités avaient déjà tous été présentés ici, alors qu’ils étaient encore peu connus du grand public. De plus, à cette nouvelle occasion, il leur a été demandé de se plier à une règle du « je » en répondant à trois questions quasi élémentaires ? : « Quel projet non réalisé auriez-vous aimé construire ? Quel projet bâti préférez-vous ? Quel projet souhaiteriez-vous réaliser ? »
Du croquis à la maquette
Une chausse-trape nostalgique largement évitée par l’encadrement solide des commissaires : Jean-Pierre Blanc, directeur du centre d’art, et Florence Sarano, architecte et enseignante. Tous deux ont entrepris de questionner longuement leurs invités afin de faire émerger une vision contemporaine du rôle de l’architecte. La scénographie est répartie dans trois salles de l’aile de la villa qui était consacrée au sport : la piscine, la salle de squash et le gymnase, selon un dispositif de boîtes en bois comprenant quatre compartiments ouverts. À l’intérieur, photos, dessins, textes et plans chargés de diffuser les messages sont surplombés pour certains de maquettes, tel que cet « archipel sans fin » coloré, une école d’architecture rêvée par le Suisse Luca Merlini. Accompagné de remarquables croquis, intronisant un imaginaire aussi riche que surprenant, le projet est avant tout une accumulation de « convictions sur l’enseignement et sur certaines situations ». Les réponses d’Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal insistent sur la possibilité de « retourner positivement toutes les contraintes », une position rappelant celle de Patrick Bouchain, lequel aborde les questions de l’enseignement et de la transmission. Pour lui, « les savoirs appris ne sont pas conformes à la réalité » et « rien n’est acquis, ce qui permet de toujours avoir envie de faire. » Des messages limpides qu’illustrent parfaitement le projet de la Grange au lac, une tente pour concerts en bois, réalisée pour Mstislav Rostropovitch à Évian-les-Bains en 1992. Une présentation qui ne peut toutefois rendre compte que le meilleur enseignement de Bouchain passe par son convaincant talent d’orateur.
Un mix de sociologie et d’utopie nourricières
Égal à lui-même, Rudy Ricciotti incite à poursuivre le combat pour la liberté d’expression, bien qu’il ait frôlé « le dégoût de ce métier » tant son projet de salle de rock à Vitrolles a « généré de haine ». Résultat de la gouvernance de l’extrême droite, le bâtiment emblématique, et à l’acoustique ultra-performante, est à l’abandon depuis 1999. Quoi qu’il en soit, les images du concours de l’église Notre-Dame du Laus (Hautes-Alpes), perdu en 2012, montrent qu’au-delà de sa maîtrise technique du béton, l’architecte bandolais a atteint une capacité d’expression poétique avec ce matériau, aujourd’hui inégalée. C’est donc un discours fermement engagé socialement qui ressort des réponses aux questions des commissaires par ces concepteurs nourris de sociologie, d’utopies et d’idéologies soixante-huitardes. Selon les personnalités convoquées, naturellement, les réactions varient et des orientations communes se dégagent, qu’on retrouve regroupées au fil de la visite. Ainsi, dans la salle de squash, la génération la plus jeune, touchée par la crise de la commande, réplique par la seule présentation de projets et de réalisations. Alors que les exemples de l’agence Boyd Cody, montrant à travers la réification du projet une attention aux espaces publics et au vivre ensemble dans la ville, sont explicites sur une attitude possible de l’architecte, ceux de l’Espagnol Fran Silvestre laissent dubitatifs quant à leur place dans le cadre de cette exposition. Au-delà de leurs grandes qualités formelles, ces bâtiments concernent la construction individuelle haut de gamme, des sortes de « Sam Suffit » de luxe traduisant le repli sur soi.
Quant à la toute jeune génération marquée par les crises économiques et écologiques, elle se distingue par un activisme militant. Ainsi des projets de l’Allemande Anna Heringer, prônant la fin des icônes et pointant la question cruciale du «comment construire sans détruire nos ressources ? ». Quant aux Norvégiens de l’agence Tyin, fervents participationnistes, leur revendication est claire : « l’architecture n’est pas une œuvre mais une activité. » Chacun est donc libre de faire ici son marché et l’on ne peut s’empêcher de penser à Michel Leiris et à la nécessité d’introduire « ne fût-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une œuvre littéraire » (1). Une métaphore que l’on pourrait transposer à l’architecture et au contexte de cette exposition. La prise de risque étant la seule façon valide, selon l’écrivain, de rompre avec une esthétique dénuée de substance et d’engager le créateur dans « autre chose que grâces vaines de ballerine ».
(1) Michel Leiris, « De la littérature considérée comme une tauromachie », préface de L’Âge d’homme, Paris, 1945
Jusqu’au 24 mars, Villa Noailles, Montée Noailles, 83400 Hyères, tél. 04 98 08 01 98, www.villanoailles-hyeres.com, tlj sauf lundi, mardi et jours fériés, 13h-18h, vendredi 15h-20h
Commissariat : Florence Sarano et Jean-Pierre Blanc
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Une décennie d’architecture(s) à la Villa Noailles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Une décennie d’architecture(s) à la Villa Noailles