Travaillant sur la possible représentation du territoire, Julien Discrit (né en 1978) déploie à la galerie Martine Aboucaya, à Paris, des films et des objets qui participent d’une construction à la fois visuelle et mentale du paysage.
Le film Speed of eye (2010), qui occupe une position centrale dans votre accrochage, est assez elliptique. Il donne l’impression que le fil de l’action est plus un alibi pour découvrir un site…
Le point de départ de ce projet est la découverte personnelle du Grand Lac Salé, aux États-Unis, que j’identifiais sans savoir de quoi il s’agissait vraiment. Il est pour moi une sorte d’espace radical, une expression pure de l’espace, complètement plat, blanc et extrêmement vaste. Je trouvais donc fascinante cette sorte d’affirmation visuelle de l’espace. En outre, l’histoire automobile américaine s’est en partie écrite là-bas, et on y voit toujours des tentatives pour battre des records de vitesse. Cet endroit a déjà beaucoup été investi, mais fut toujours envisagé comme une sorte de décor. J’ai donc eu envie de parler du lieu en lui-même, d’en faire une sorte de portrait à travers ce que j’y voyais, sans renier ces rencontres de passionnés qui veulent aller le plus vite possible. Le film établit un découpage en trois sections : l’histoire d’un homme qui marche dans une sorte de quête infinie, en boucle, mise en parallèle avec les courses en me focalisant sur les pilotes. Ce qui m’intéressait, c’était l’expérience du lieu, l’expérience que l’on peut faire en marchant ou en roulant très vite. Le troisième temps est celui d’une caméra embarquée qui, elle, va à une vitesse rapide et serait celle vécue par les pilotes au moment où ils s’élancent. Relier trois temps possibles est une manière de relier trois façons d’expérimenter le lieu (ville ou désert), car il est évident que l’expérience qu’on en fait est dictée par la vitesse à laquelle on le traverse. On peut passer une journée sur dix mètres d’une rue, et une seconde en voiture sur les mêmes dix mètres. Évidemment, on ne verra pas les mêmes choses.
Vous exposez également plusieurs objets couverts de cristaux ou des tubes à essai remplis de sable, qui ont tous un rapport avec une provenance géographique. Constituent-ils un élargissement de l’idée du film ?
En conjonction avec ce film, je montre une paire de chaussures couverte de cristaux de sel (Sediments - Wendover, 2010) qui sont un témoignage du parcours effectué là-bas. Mon intérêt s’est porté sur le processus de cristallisation lui-même, qui a lui aussi un rapport au temps. Au-delà de ce processus que je trouve assez fascinant, il y a également cet intérêt porté aux petites formes, aux petites choses, à l’inframince, à ce qui est à découvrir derrière le détail et l’infime. Cette problématique-là constitue également le propos de l’œuvre avec les tubes à essai (What the desert is made of - Mojave, 2010). J’ai prélevé un échantillon de sol du désert de Mojave [Nevada], et j’ai entrepris de trier les grains par ordre de grandeur, avec un processus quasi scientifique puisqu’il s’agissait de séparer cette masse informe – je dis informe parce qu’indéterminée. Au-delà, il était question de donner une représentation possible d’un espace qui est fondamentalement abstrait dans ce qu’il est, dans sa composition et dans ses dimensions.
Un second volet de cette exposition va suivre, le 12 juin, avec un autre film…
Ce film, Sediments (2010), est un projet qui date de presque deux ans et s’est construit en même temps que certains des travaux que l’on peut voir ici, avec les mêmes recherches, interrogations, intérêt pour les sédiments, les histoires de temps, de ruine. Il était donc pour moi logique de le montrer dans cette exposition.
S’agit-il d’une continuité de ce projet ou d’autre chose ?
Étant donné que Speed of eye occupe une place centrale, car il assure le lien entre presque toutes les œuvres, il s’agit de donner une autre lecture de l’exposition, qui à mon avis sera très différente. On sera dans un film avec une histoire au sens plus classique du terme, en noir et blanc. En revanche, il y aura toujours cette figure de la marche, donc une histoire qui s’écrit au fil d’un parcours ; il y a donc une forme de continuité. D’ailleurs, cette figure de l’homme qui marche, et surtout la façon dont ce parcours écrit une histoire ou construit des cartes, on les retrouve dans le premier film que j’ai réalisé, Marathon life (2005). Je me rends compte aujourd’hui que c’est quelque chose d’important, qui revient.
JULIEN DISCRIT, DIAGRAMMES, jusqu’au 11 juin, puis SÉDIMENTS, du 12 juin au 3 juillet, galerie Martine Aboucaya, 5, rue Sainte-Anastase, 75003 Paris, tél. 01 42 76 92 75, www.martineaboucaya.com, tlj sauf dimanche et lundi 12h-20h
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« Un travail sur les sédiments, les histoires de temps, de ruine »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : « Un travail sur les sédiments, les histoires de temps, de ruine »