Au terme d’une longue résidence, Mona Hatoum livre au Mac/Val
une belle réflexion sur l’identité territoriale et l’instabilité du monde.
VITRY-SUR-SEINE - Le très rigoureux quadrillage de Buenos Aires, l’organisation en anneaux circulaires de New Delhi, la complexité du tracé des artères de Rome, le dessin exactement symétrique de Brasilia… Les plans des centres urbains de toutes ces capitales, et de nombreuses autres encore – quarante au total –, sont littéralement suspendus dans un espace à l’échelle très intimiste, au sein du Mac/Val, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Suspendus car gravés avec une extrême précision dans l’assise de balançoires accrochées là par Mona Hatoum, à une hauteur suffisamment basse pour que la promenade offre une visibilité satisfaisante sur chacune d’entre elles.
Parmi cette forêt de chaînes très sombres, l’œil cherche des points de reconnaissance, poussé par la curiosité à se perdre dans ce concentré du monde. L’artiste ayant recherché des cadrages reprenant des éléments identifiables, des infographistes ont par la suite redessiné sur le logiciel Illustrator tous les plans trouvés sur le service Google Maps, avant qu’une entreprise spécialisée ne se charge de la gravure sur des plaques de stratifié rouge fixées à du Medium noir, teinté dans la masse.
Le résultat est d’une telle précision que, lorsque le regard repère une localisation qui lui paraît familière, le visiteur se laisse aller à ses souvenirs. Mais souvent, il laisse son imagination errer dans des contrées qui lui sont inconnues.
Émulsion
Mona Hatoum possède cette faculté remarquable de réinvention de formes ou de techniques déjà éprouvées ailleurs. Les balançoires (objets précédemment réalisés à deux reprises avec des problématiques fort différentes, en verre et en métal tranchant) comme les plans urbains (en particulier ses 3D Cities (2008-2009), récemment revus à la galerie Chantal Crousel, à Paris) faisaient déjà partie de son vocabulaire. La problématique est pourtant ici tout autre.
Cette infatigable voyageuse n’a de cesse de parcourir le monde, tout en tentant de prendre la mesure des territoires où elle se pose, afin de provoquer une émulsion entre ce qu’elle peut y découvrir et ce qu’ils peuvent l’induire à produire. Or c’est au cours d’une longue résidence d’artiste, d’une durée de six mois, au Mac/Val – la plus longue de ce programme mené par Valérie Labayle, et lancé en 2007 –, qu’est né ce projet, à la lumière du contexte particulier offert par la commune de Vitry-sur-Seine.
En mêlant dans un même espace des fragments de cités issues des cinq continents, l’artiste n’a pas seulement choisi des points clefs du globe, elle a cherché à privilégier des localités d’où sont originaires les diverses communautés de la ville. Additionnées, celles-ci ne représentent pas moins de quatre-vingts nationalités différentes. La mémoire du monde n’est donc plus seulement visuelle, elle devient véritablement humaine. La mondialisation n’est plus une vague idée, mais un cas d’étude concret nourri des expériences de l’exil, voire de l’exclusion ou du déracinement. Des problématiques qui, bien entendu, résonnent singulièrement chez cette Palestinienne installée au Liban, et qui connut un second déracinement lorsque, en vacances à Londres, elle fut empêchée de rentrer à Beyrouth lors du déclenchement de la guerre du Liban, en 1975.
À la balançoire se greffe la force du symbole, celle du flottement du monde, d’un monde en mutation constante, aux contours instables, aux certitudes branlantes, aux identités toujours plus mal assurées, de plus en plus construites par le nomadisme, voulu ou forcé.
De manière à la fois précise et poétique, Mona Hatoum pointe les caractéristiques et réalités du monde actuel en évitant, la plupart du temps, de verser dans la démonstration. C’est ce qui fait la force de son travail et en assure la singularité.
MONA HATOUM. SUSPENDU, jusqu’au 5 septembre, Mac/Val, place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine, tél. 01 43 91 64 20, tlj sauf lundi 12h-19h, www.macval.fr
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Un monde en suspension
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Un monde en suspension