Hugues Reip prend possession du château de Chamarande et y déploie son univers ludique et fantastique
CHAMARANDE - La vie de château va bien à Hugues Reip, artiste aujourd’hui parisien, né en 1964. Invité à prendre possession de celui de Chamarande (Essonne), il saisit là une occasion, avec seize œuvres ou séries d’œuvres – dont huit spécifiquement produites –, de rendre compte de son univers. On n’avait pas eu l’occasion de percevoir son travail à une telle échelle en France depuis 2003, lors de l’exposition du Centre régional d’art contemporain de Sète.
Émerveillement premier
Entre rêverie fantastique, modernité nostalgique, anticipation rétro et science-fiction d’époque, curiosité d’entomologiste et geste de collectionneur, le tout contaminé par un sens du jeu, Reip construit là un parcours attachant. Il y a pourtant loin entre le faste châtelain d’un espace d’exposition très marqué par sa nature patrimoniale (les aménagements intérieurs du château sont très présents) et l’économie habituelle de l’artiste. Aussi est-ce l’une des réussites de cette présentation qu’une forme d’occupation des lieux fort peu démonstrative mais subtile et efficace. Loin d’un principe de remplissage propre au cabinet de curiosités, les pièces tiennent l’espace sur des modalités différenciées.
Dans la coursive d’entrée, Reip affiche en finesse sa pratique d’appropriationniste en reprenant la représentation du château par Hubert Robert (dont l’artiste, amusé de la coïncidence, partage les initiales, « H.R. »), tableau dont s’enorgueillit le Domaine de Chamarande. Dédoublée, la toile s’offre au jeu du type « cherchez l’erreur », mais elle a changé de dimension et les personnages de la scène peinte ont disparu. étrange enlèvement, présage des jeux entre fiction et réalisme descriptif qui traversent l’exposition : on y passera plusieurs fois de l’autre côté du miroir. Au pied de la lettre d’ailleurs, avec la série des images de matières minérales complexes qui opacifient et creusent en même temps les miroirs trumeaux, accrochés au-dessus des cheminées. Déplacement et rupture d’échelle sont de la partie dans presque toutes les pièces présentées. Le bec de toucan érigé en totem perd, par agrandissement et verticalisation, son aspect naturaliste pour gagner une sorte de sculpturalité moderniste. Pourtant, le ressort de l’opération réside dans un passage par l’image et une préoccupation scientifique : un compagnon d’expédition de Darwin l’a dessiné ainsi. Le jeu des références peut selon les pièces rester ou non secret. Il est explicite avec Deep Night Music – tableau aux motifs magnétiques qui salue Fahlström –, avec les films d’animation, que ce soit Leaft, projeté à l’étage, hommage à Louis Feuillade et à son Fantômas, ou Fantaisie, d’après Méliès (et issu de la collection de la Cinémathèque française). Il donne leur poids à des œuvres physiquement légères, quand il s’agit de référer à la culture populaire ou à la planche synoptique d’album, entre Grandville, photo documentaire savante et cartoon.
L’esprit des objets mathématiques des surréalistes croisé avec le goût enfantin pour l’observation scientifique et porté par le formalisme moderne sous-tendent ainsi ce petit théâtre de la représentation, à l’exemple de The Stage, mise en scène et mise en boîte sous forme de diorama de motifs issus des récits de rêves de Joseph Cornell. Entre inframince et burlesque, Hugues Reip marque le ton, selon une musique qui lui appartient. À celui qui s’y accorde, le parcours de Chamarande offre des moments d’émerveillement, non de ceux du grand spectacle, mais plutôt de ceux qui tiennent dans la poche.
HUGUES REIP, LE CHÂTEAU, jusqu’au 7 février 2010, château du Domaine départemental de Chamarande, 38, rue du Comandant-Arnoux, 91730 Chamarande, tél. 01 60 82 52 01, du mercredi au dimanche de 12h-17h, www.chamarande.essonne.fr
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Un château sur la Lune
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Abonnez-vous dès 1 €HUGUES REIP
Commissaire : Judith Quentel, directrice du Domaine départemental de Chamarande
Nombre d’œuvres : 18 dont 8 productions
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : Un château sur la Lune