En consacrant une monographie à Aurelie Nemours, le Musée national d’art moderne
revient sur l’œuvre exigeante d’une doyenne de l’abstraction géométrique.
PARIS - Née en 1910, active des années 1940 jusqu’en 1992, année de son arrêt de la peinture, Aurelie Nemours bénéficie aujourd’hui de sa première exposition personnelle dans une institution parisienne. Une rétrospective importante qui, à travers plus d’une centaine d’œuvres, court sur cinquante ans et se plie au jeu de la chronologie, avec d’autant plus d’évidence que l’artiste a souvent travaillé par ensembles : la période « archaïque » dans années 1940, les Demeures, Au commencement, Fête dans les années 1950, la période « romantique » des deux décennies suivantes, les Sériels et le Rythme du millimètre entre 1976 et 1977, Angles noirs, Quatuors, Colonnes, Lignes (1980-1990), les Structures du silence (1983-1987), Nombre et hasard (1990-1992). Construite autour de ces « séries », l’exposition n’a pourtant rien d’un catalogue de tendances. L’impression d’intemporalité donnée par l’accrochage est en cela fidèle à une œuvre tenace et étanche. Aurelie Nemours n’a jamais dévié ou remis en question un parti pris pictural dans lequel elle est entrée comme en religion. Au fur et à mesure, sa grammaire géométrique s’est même resserrée. En 1953, elle rejoue la querelle entre Mondrian et Theo van Doesburg pour renoncer à l’usage de la diagonale, puis impose à partir des années 1960 le carré comme format essentiel de ses compositions.
Elle a ainsi pu traverser les turbulences d’un demi-siècle sans même une œillade pour l’op art, encore moins un écart. Dans les premières salles, Deux personnages (1949) ou Seul (1950) ne peuvent pourtant que placer l’artiste dans le contexte d’un cubisme d’après guerre. Après des études d’histoire de l’art, Nemours passe dans les années 1940 par l’académie d’André Lhote puis fréquente l’atelier de Fernand Léger. « Il parlait de masse, d’énergie, d’équilibre, de fraîcheur et, avec ses mains, il évoquait, il donnait forme à ce qui est indicible. Il nous portait où commence la peinture. Quand je suis sortie de chez Léger, j’avais enfin trouvé la force de la solitude », expliquera Aurelie Nemours en 1980 (catalogue, galerie Teufel, Cologne).
Dans cette solitude, l’artiste n’est pas isolée. Nemours s’inscrit rapidement dans le cercle gravitant autour d’Auguste Herbin et du Salon des réalités nouvelles. Elle devient le compagnon de route de collectifs comme le groupe Espace d’André Bloc, qui prône une synthèse des arts, et, au fil des années, s’impose comme une figure centrale de l’Art concret. Le mouvement né en 1930 à partir du manifeste de Van Doesburg (« peinture concrète et non abstraite parce que rien n’est plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface ») trouve chez Nemours une résolution intuitive et spirituelle, volet signalé ici par une scénographie clinique et scolastique. Pas de programme ou de système chez elle, mais une qualité plastique qui frise l’immatériel et pousse la peinture dans ses retranchements. De même que les variations noires contenues dans le faux monochrome de Commencement II, les Rosaces des années 1974-1980 semblent intérioriser une lumière dans des glissements de couleur. Comme le laisse entendre le titre de la présente rétrospective, « Rythme Nombre Couleur », la jonction du visuel et du sonore court tout au long du parcours : Au commencement III (L’Octave) (1958), Toccata I et II (1970-1974), ou Structure du silence (1984), les œuvres de Nemours affichent leur musicalité dans leur nom quand ce n’est pas dans leurs pulsations rythmiques ou leurs sonorités chromatiques. Dernière des œuvres présentées ici, la Ligne, suite de monochromes, se laisse voir comme un solo.
Jusqu’au 27 septembre, Musée national d’art moderne, Galerie 2, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi, 11h-21h, le jeudi nocturne jusqu’à 23h. Catalogue, 220 p., 39,90 euros, ISBN 2-84426-242-2.
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Abonnez-vous dès 1 €1910 Naissance à Paris. 1948 Fréquente l’atelier de Fernand Léger. 1949 Première exposition au Salon des réalités nouvelles. 1953 Abandon de la diagonale. 1957 Adhère au groupe Espace d’André Bloc. 1961 Première exposition personnelle à l’étranger, Galerie Drian à Londres. 1963 Parution de poèmes dans la revue Morphèmes. 1986 Première exposition personnelle à la galerie Denise René, Paris. 1992 Arrête la peinture. 1994 Grand Prix national de la peinture.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Tenir la ligne