Chine - Biennale

Shanghaï. la Biennale, « Visual factory »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2014 - 687 mots

À travers un spectre élargi, la Biennale de Shanghaï interroge la construction du tissu social et les contradictions d’une société lancée à marche forcée vers la modernité.

SHANGHAÏ - Commencer par la fin. C’est-à-dire par le troisième niveau de l’immense Power Station of Art, ancienne centrale électrique reconvertie depuis 2012 en musée d’art contemporain, et qui pour la deuxième fois accueille la Biennale de Shanghaï. Commencer par la fin car c’est là que s’ouvre un boulevard pour l’imaginaire, relativement à une thématique générale, « Social Factory », ancrée dans le tangible des rapports humains et sociaux. Sur ce dernier plateau, le visiteur bute d’emblée sur la station de contrôle d’un vaisseau spatial imaginée par Ming Wong ; des dizaines d’écrans y diffusent textes et extraits de films futuristes, comme une invitation à explorer à travers la science-fiction le projet civilisationnel d’une modernité chinoise (Windows on the World (Part 2), 2014). Le visiteur peut aussi faire l’expérience, avec Anton Vidokle, d’une traversée de territoires bien réels ceux-là, en Sibérie ou au Kazakhstan, mais dont la nature visuelle semble parfois fort loin de la réalité (Cosmos, 2014). Il peut encore se laisser happer par l’extraordinaire film de Ran Huang, folle digression mentale où s’entremêlent plusieurs narrations fondées sur la notion de contrôle, de violence ou de tromperie irriguant le champ commun (The Administration of Glory, 2014).

Nature bridée
Ouvrir ainsi au rêve et à la fiction cette « Fabrique sociale » est l’une des belles idées du commissaire allemand Anselm Franke, lequel, pour cette dixième édition de la Biennale, s’est adjoint la collaboration de spécialistes de la région, telle la Taïwanaise Freya Chou ou le directeur du centre d’art Para/Site à Hongkong, Cosmin Costinas. Une belle idée qui insiste sur l’importance de la fiction dans le quotidien, mais permet sutout de pointer les contradictions d’un monde qui avance à très grande vitesse tout en demeurant encore redoutablement conservateur.

Car pénétrer dans les structures culturelles et artistiques de la Chine actuelle, c’est se confronter à la toujours importante tradition dont se fait l’écho Liu Ding dans ses tableaux un brin décalés qui attestent d’une forme de retour à l’ordre bordé par de solides cadres idéologiques. Non loin pourtant, d’autres ouvertures sont perceptibles à travers la fabrication d’une culture contemporaine. Ainsi le triptyque vidéo du Taïwanais Yu Cheng-Ta, sorte de sitcom très relevée, met-il en scène une famille versée dans l’art contemporain et ses turpitudes dont tous les membres sont interprétés par de véritables artistes, critiques, curateurs… (Practicing LIVE, 2014).

Au-delà du politique et de l’économie, la fabrique sociale tient également dans la production de rapports sociaux que dessine efficacement Stephen Willats. Ses diagrammes au mur cartographient un système social de communautés locales, qui dans cette représentation devient abstrait (Diagrams Wall, 2008) ; une remise à plat judicieuse à l’ère de l’emballement des réseaux sociaux et digitaux, virtuels et intangibles.

Le corps physique, écologique et social, le tout jeune artiste hongkongais Trevor Yeung s’en saisit, et trace dans un vaste espace une voie bordée par des plants de fruits de la passion en pot. Invasives, ces plantes trouveraient dans la structure en bambou qui les surplombe un support auquel s’agripper si celui-ci n’était accroché trop haut pour être atteint. Elles demeurant alors contraintes à brider leur nature même, insatisfaites (Maracuja Road, 2014).

Les artistes hongkongais sont d’ailleurs forts peu représentés, au nombre de deux seulement. L’agitation politique actuelle n’y est pas pour rien, puisque Tozer Pak Sheung Chuen, identifié comme étant très actif dans les manifestations, a été interdit de participation par le département de la propagande. Ce denier donne son approbation en amont aux artistes avant de visiter la manifestation à la veille de son ouverture et de contrôler que les œuvres sont conformes. En Chine aujourd’hui encore, on ne plaisante pas avec les modes de fabrication du social ni avec ses images, dans une « social factory » qui est là tout autant une « visual factory », dont la puissance est bien connue.

The 10th Shanghai Biennale

Commissaire : Anselm Franke
Co-commissaires : Freya Chou, Cosmin Costinas, Liu Xiao
Nombre d’artistes : 77
Nombre d’œuvres : environ 100

Social Factory : the 10th Shanghai Biennale

Jusqu’au 31 mars 2015, Power Station of Art, 200 Huayuangang Road, Shanghaï, tél. 86 21 31108550, www.shanghaibiennale.com, tlj sauf lundi 11h-19h. Catalogue, éd. Shanghai Biennale, 392 p.

Légende Photo :
Ming Wong, Windows on the World (Part 2), 2014, installation vidéo. Courtesy de l'artiste et Vitamin Creative Space

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Shanghaï. la Biennale, « Visual factory »

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