Pionnier de l’art conceptuel, Robert Barry présente pour la première fois en France ses « Projections », chez Yvon Lambert, à Paris.
Intitulée « Light and Dark. The projections of Robert Barry, 1967-2012 », l’exposition présentée chez Yvon Lambert est sans doute l’événement de ce début d’année dans les galeries parisiennes. Elle rassemble en effet, pour la première fois en France, une quinzaine de vidéos et films 16 mm ainsi qu’une série de diapositives de celui qui, né en 1936 à New York, représente l’un des pionniers et des monuments de l’art conceptuel.
Henri-François Debailleux : Pourquoi avez-vous choisi de présenter des œuvres datées de 1967 à aujourd’hui ?
Robert Barry : J’avais envie d’exposer des œuvres nouvelles en les conjuguant avec des anciennes, c’est une piste que j’exploite souvent. L’occasion m’était donnée là de montrer comment une idée persiste tout en pouvant être très différente. Comme je l’ai souvent dit, je suis ma plus grande source d’inspiration ! En effet, je n’hésite pas à revenir sur des idées exploitées à mes débuts et que je recycle, que je repense parce qu’elles sont fondamentales en ce qui concerne la notion de temps, d’espace, de lieu. Au fil des années, j’ai compris que l’une des notions qui définissait mon travail était le changement de l’œuvre en elle-même.
H.-F. D. : Comment considérez-vous aujourd’hui vos œuvres ancien-nes, comme ce « Red Second » de 1967 ?
R.B. : Ces pièces anciennes sont très simples, pas du tout sophistiquées. Je les ai réalisées à une époque où j’avais très peu d’argent et ne pouvais pas demander à des techniciens professionnels de m’aider. Je les ai donc toutes faites moi-même, avec les moyens du bord, sans être un expert du film 16 mm ou de la photographie. Malgré tout, je pense que l’idée est là et que ces œuvres tiennent encore le coup.
H.-F. D. : Avec le recul, quel regard portez-vous justement sur cette période de l’art conceptuel, à la fin des années 1960-début 1970 ?
R.B. : Je n’utilise jamais ce terme d’« art conceptuel ». Je ne l’aime pas. Ou tout du moins je le trouve très limité. Je pense que toutes les œuvres sont conceptuelles et en même temps elles ont un aspect matériel et physique à la portée de tous. Il en est de même en ce qui concerne mon travail. Se borner aux principes de l’art conceptuel ne permettrait pas aujourd’hui une ouverture d’esprit. Au sens strict, l’art conceptuel a existé à une certaine époque, dans un certain endroit du monde, dans une certaine culture. Or le sens des œuvres peut changer d’une culture à l’autre. Je crois simplement que l’art conceptuel a amené à une vision manifeste de l’œuvre elle-même beaucoup plus forte qu’elle ne l’était auparavant.
H.-F. D. : Et sur l’art minimal ?
R.B. : C’est la même chose. Le « minimal art » est un art complexe, plein d’intensité. Contrairement à son appellation, c’est un art très compliqué à produire, à exposer, à installer en fonction de la manière dont il va avoir un effet sur son environnement. Une oeuvre d’art n’est pas un objet isolé du monde. Elle est une sorte de début à une action, à une activité qui se poursuit à partir de là et autour de laquelle se développe donc une énergie. L’art est dynamique, donc il change. Le sens des œuvres se modifie puisque le regard évolue toujours et perçoit les choses différemment.
H.-F. D. : Pourquoi avez-vous dès le début utilisé les mots comme matière première ?
R.B. : Les mots n’existent pas dans le monde indépendamment de nous. Nous fabriquons les mots, nous les générons, ils émanent de nous et c’est ce que j’aime avec eux. D’autre part, lorsqu’on applique un mot sur un mur, cela crée immédiatement un impact important. On y est relié d’une certaine façon. Le mot fait partie d’une idée, d’une histoire et lorsqu’on le sort de son contexte, il devient un objet, et même un objet dynamique. Je n’applique pas seulement les mots sur un mur, je dois faire en sorte qu’ils deviennent réellement quelque chose. Et pour cela ils doivent avoir une certaine dimension sur le mur, un mur que je choisis avec beaucoup d’attention, dont je détermine les angles, les couleurs, etc. Tout cela procède de choix artistiques destinés à présenter le mot d’une manière particulière pour affecter son sens. Je tente de les utiliser d’une façon différente de ce qui a pu être fait avec eux auparavant. Les possibilités expressives du mot sont infinies aussi bien dans l’histoire que dans le regard qu’on leur porte car ils peuvent être très beaux à regarder tout simplement.
H.-F. D. : Vous travaillez beaucoup avec la notion de temps…
R.B. : La notion de temps est extrêmement importante dans mon travail. La plupart de mes pièces traitent du temps et j’essaye d’utiliser cette notion de plusieurs manières. Il y a par exemple le temps des mots et le temps de l’image, comme dans Storm par exemple, avec la durée d’une tempête et l’apparition des mots qui viennent et s’en vont, soit deux façons de traiter le temps dans cette vidéo. De toute façon, j’aime mettre les mots dans des situations incongrues, surprenantes, qui peuvent donner une autre lecture de ces mots. Le langage est infini et flexible, il ne génère pas juste une lecture unique, on peut faire énormément de choses. C’est ce que j’ai toujours essayé d’exploiter.
Jusqu’au 26 janvier, Galerie Yvon Lambert, 108, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 71 09 33, www.yvon-lambert.com, tlj du mardi au vendredi 10h-13h, 14h30-19h, le samedi 10h-19h.
Voir la fiche de l'exposition : Light and Dark : The Projections of Robert Barry 1967 – 2012
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Robert Barry - « J’aime mettre les mots dans des situations incongrues »
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition « Light and Dark. The Projections of Robert Barry 1967-2012 », à la Galerie Yvon Lambert, Paris. © Photo : Rebecca Fanuele.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Robert Barry - « J’aime mettre les mots dans des situations incongrues »