Au Centre Pompidou, la première rétrospective Lichtenstein organisée en France réinstalle l’artiste dans toute sa complexité.
PARIS - Une rétrospective réussie d’un artiste très connu l’est lorsque, au-delà des clichés, elle ne permet pas seulement de relire sa production ou d’en découvrir des aspects moins connus, mais de cerner aussi la cohérence globale de ce que l’on pourrait nommer un projet. À la sortie des salles que lui consacre à Paris le Centre Pompidou, après une itinérance passée par Chicago, Washington et la Tate Modern londonienne, le projet de Roy Lichtenstein (1923-1997), l’un des princes du pop art, apparaît limpide tout en révélant une complexité allant bien au-delà de l’écran constitué par les célèbres tableaux inspirés de bandes dessinés – ses blondes jeunes femmes éplorées ou ses scènes de guerre en particulier – et autres icônes de la consommation, tel son Hot dog (1964) en porcelaine émaillée sur une plaque d’acier devenu mythique. Certes, Lichtenstein, inspiré par la communication visuelle et sa diffusion sur l’affiche ou le magazine, ne s’est jamais départi de la quête d’un fort impact de l’image porté notamment par une formule visuelle simplifiée et l’adoption d’une texture industrielle de l’œuvre d’art malgré une exécution toute manuelle, sans pour autant que cet impact ne se limite au seul plan de la toile ; car au-delà, il y a un monde que cette exposition s’emploie fort à propos à explorer. Il convient pour cela d’avancer un peu dans les salles afin d’y trouver en particulier une toile représentant un tableau retourné, son châssis donc (Châssis à croisillon III, 1968). Lui font face quelques tentatives de représentations de miroirs du début des années 1970, un peu chiches en nombre néanmoins lorsqu’on sait que ce motif a été très largement exploré par l’artiste. Or entre le tableau devenu invisible – et réduit là à un objet – et les surfaces miroir irreprésentables, se jouent précisément la représentation d’un monde et le lien au réel, fondateurs de la réflexion pop. « Je cherche à représenter une sorte d’antisensibilité qui infuse dans la société et une simplification démesurée et sans nuance. Je me sers de cette idée plutôt à des fins stylistiques que pour produire des effets du réel », déclarait Lichtenstein lors d’un entretien avec Alan Solomon enregistré en 1966. Or ce lien s’exprime en particulier à travers la dimension objectale du travail. C’est là qu’est bien jouée la large place faite tout au long du parcours à la sculpture qui, en plus d’être mal connue permet d’appréhender une pratique à la fois diversifiée, mais dont les codes en viennent à se brouiller lors des va-et-vient incessants opérés entre 2D et 3D. En témoigne notamment une stupéfiante Lampe (1977) en bronze peint, dont le traitement plat et les nuances de couleurs affirment un caractère graphique exacerbé qui pourrait donner l’illusion du tableau, de même que ce dernier, de par son fini, flirte souvent ouvertement avec l’objet.
Réappropriation des maîtres
Cette ambivalence voulue et entretenue apparaît d’autant plus fondamentale pour l’artiste qu’elle ne se limite pas à la problématique soulevée par l’ironie portée à l’endroit d’une commercialisation à outrance, en accélération depuis l’après-guerre et concomitante de l’élaboration de nouvelles icônes contemporaines qu’il a lui-même traitées plus qu’à son tour. Mais fascinante est chez Lichtenstein une sorte d’intelligence facétieuse qui, au-delà d’une culture générique, le fait s’emparer également de la culture classique et des grands maîtres en particulier. Beaucoup y passent, y compris de surprenantes sculptures évoquant l’Art déco. Surtout, la manière dont sont revisitées certaines œuvres célèbres de Mondrian, Monet, Brancusi ou de Kooning joue avec l’ambivalence du cliché que sont devenues certaines d’entre elles après avoir été avalées par la culture de masse. Mais plus qu’une simple démonstration ironique ou amusée, ce principe de réappropriation et de recréation, qui affirme à la fois de la proximité et de la distanciation, fait montre d’une formidable capacité d’inventivité, comme le montre une série de six lithographies qui, partant d’un taureau de Picasso, deviennent chaque fois plus abstraites jusqu’à imposer au motif un style géométrique à la Theo Van Doesburg (Bull Profile, 1973). Tout se passe là comme si, finalement, le réel contemporain et ses images n’étaient pas aussi formatés que l’on pourrait le croire… par-delà « l’antisensibilité ».
Jusqu’au 4 novembre, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue éd. Centre Pompidou, 264 p., 39,90 €
Commissaire : Camille Morineau
Nombre d’œuvres : environ 130
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Pop art, une industrie du réel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Pop art, une industrie du réel