Le Musée de Grenoble donne à voir la dernière période de l’œuvre de Sigmar Polke comme le champ d’une expérimentation constante.
GRENOBLE - Elles sont pour le moins curieuses ces feuilles de papier sur lesquelles un motif de putti imprimé semble avoir été soumis à l’épreuve d’un étirement virant à la déformation ; il s’agit en fait de photocopies pour lesquelles l’artiste s’est ingénié à déplacer l’original sur la plaque de la machine (Sans titre (Putti avec un masque), 2001). Curieuses et nullement anodines, elles illustrent à quel point la peinture fut, pour Sigmar Polke (1941-2010), un perpétuel champ de recherche
Avant une rétrospective prévue au MoMA de New York au printemps prochain, le Musée de Grenoble lui rend hommage avec un accrochage qui réunit pas moins de soixante-dix tableaux et une cinquantaine de travaux sur papier, et se concentre sur la dernière période de l’artiste, à partir du début des années 1980. Une décennie particulièrement fertile qui, après des années 1970 très marquées par l’usage du papier, voit le retour d’une envie gourmande à l’endroit de la peinture. Cet appétit se traduit par des expérimentations tous azimuts, matérialisées dans une confrontation heureuse avec le grand format.
Ce qui frappe au cours de la visite, en effet, c’est cette constante approche expérimentale des éléments de la peinture conduisant à une profusion de tentatives pour entraîner cette dernière vers de nouveaux domaines. Le support n’est pas oublié, avec l’usage fréquent de tissus d’ameublement, fleuris souvent, en guise de fonds – qui, au passage, permettent d’assumer pleinement le ressort décoratif du médium pictural, comme un contre-pied à une sévère éducation protestante –, quand ce ne sont pas des torchons qui, cousus entre eux, deviennent le tableau lui-même (Torchons II, 1994). À l’inverse, est également sensible chez Polke la tendance, complémentaire à la première, à la presque disparition de ce support lorsque, traité avec un tissu polyester quasi transparent, il introduit l’envers du décor. Démonstration avec un grand triptyque abstrait (1989) qui atteste d’un intérêt probablement non étranger à la formation de maître verrier suivie avant les Beaux-Arts.
Alchimiste
Dès l’aube des années 1980, la couleur devient l’une de ses préoccupations centrales, particulièrement après un voyage en Australie où Polke se confronte à l’art aborigène. Cette rencontre associée aux réminiscences, nombreuses, de l’usage de drogues diverses l’entraîne dans des essais sans fin, tant de coloris que de matières et de textures. L’artiste use d’à peu près tout ce qui lui passe sous la main, y compris de matières précieuses disparues tel le lapis-lazuli, ainsi dans un grand tableau (Lapis-Lazuli, 1994). En presque alchimiste – une source d’intérêt qui en 1995 le conduit à l’exécution d’une série en hommage à Hermès Trismégiste, inventeur de l’alchimie –, il multiplie les approches.
C’est l’une des belles surprises de l’exposition que d’y trouver de nombreuses pages de carnets des années 1982 et 1984, véritables lieux d’exercices à défaut d’être des croquis préparatoires, sur lesquelles des mélanges de couleurs appellent des formes venant s’y appliquer. Des tableaux tels Homme noir (1982), Hallucinogène (1983) ou la série Sans titre (Essai de couleurs) (1986) cherchent dans les amalgames et la possibilité de nouveaux matériaux des effets évoquant parfois le cosmique et parfois le terrestre, dans une pratique jamais grossière, toujours subtile et incroyablement inventive, qui semble impossible à dompter.
Elle ouvre aujourd’hui encore des voies sur la manière de penser la peinture au XXIe siècle, avec des embardées que ne renieraient pas quelques belles pousses de la jeune peinture actuelle, alors que certaines ont été exécutées… il y a déjà une trentaine d’années.
jusqu’au 2 février 2014, Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette, 38000 Grenoble, tél. 04 76 63 44 44, www.museedegrenoble.fr, tlj sauf mardi 10h-18h30. Catalogue, coéd. Actes Sud/Musée de Grenoble, 184 p., 32 €.
Commissaire : Guy Tosatto
Nombre d’œuvres : env. 120
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Polke, une peinture gourmande
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition Sigmar Polke au musée de Grenoble, avec les oeuvres de la série Hermès Trismégiste. © Musée de Grenoble.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Polke, une peinture gourmande