L’artiste Kees Visser intervient à Paris en deux lieux marquants, l’église Saint-Eustache et l’hôtel de Missa, où il propose deux aspects de son travail.
PARIS - Kees Visser (né en 1948 aux Pays-Bas) a pris depuis longtemps le chemin du monochrome, processus simple dans les marges historiques et sensibles de la peinture. Il présente à Paris en deux lieux marquants deux aspects de son travail. On retrouve dans l’un et l’autre une économie minimaliste (la géométrie, la séquence), croisée à une sensibilité à la matière-couleur de la peinture. Et une rigueur qui ne doit rien aux inspirations éthérées que le monochrome déclenche parfois, mais bien plus à une logique de programme de travail, de quelques règles de protocole souvent déplacées par les faits du hasard. Des programmes conceptuels, donc, simples mais rigoureux, qui visent l’expérience sensible plus que n’importe quel symbolisme. Et qui cependant, dans un rapport classique de contemplation active, offrent une grande gamme, nuancée et changeante, de perceptions.
À l’église Saint-Eustache de Paris, c’est un dispositif en volume que Visser a adapté à l’espace : les trois cent vingt barres métalliques plantées en futaie régulière de dix mètres sur sept constituent une sorte de tableau en volume, où le jeu des perceptions colorées se fait en fonction du parcours du spectateur. Chaque barre porte en effet des bandes de couleur peintes aux formes effilées (une trentaine de coloris combinés selon trente-deux tracés) dont la disposition s’organise par rapport à leur exposition à la lumière du soleil filtrée par l’architecture. Comme à la chapelle Jeanne-d’Arc à Thouars (Deux-Sèvres) où elle a été montrée en 2006, l’œuvre joue de son espace d’inscription (écho avec l’orgue, et avec les verticales des piliers). Elle est disponible à divers types d’appréhension, physique et spirituelle. C’est aussi cette disponibilité mentale et perceptive que sollicitent les ensembles présentés à l’hôtel de Missa, à Paris, dans un bâtiment rénové en cours de réaffectation. Sur 500 mères carrés et trois grandes salles sur trois étages, dans un bel accrochage qui renouvelle la perception de pièces exposées au printemps au centre d’art Le Quartier à Quimper, est présenté en une longue table-vitrine une sorte de nuancier sur papier aux couleurs dégradées. Est également visible un ensemble de monochromes noirs au grain particulier et dont la vibration colorée est persistante et variable, puisque ces noirs sont obtenus par mélange de couleur. Et encore d’autres monochromes sur papier de grand format, ou de petit format pour un groupe de quarante d’entre eux dont couleurs et formes constituent une zone de vibration inépuisable, un peu à la manière d’un mandala.
Instabilité délicieuse
À y regarder de près, l’esprit de système se précise, avec une combinatoire de formes à la géométrie très légèrement dévoyée (quasi-rectangles en parallélépipèdes inclinés ou en trapèzes), et contribue à l’instabilité délicieuse de la vision. On pointerait ad libitum les expériences de la tradition monochrome qui se retrouvent ici, américaine et européenne : pourtant il n’y a guère dans la peinture de Visser de souci d’affirmation tapageuse, mais une liberté généreuse donnée au regard. Ainsi, le champ ouvert de référence tant à la peinture qu’au paysage vécu, mais aussi à des dimensions littéraires et poétiques (au-delà de la charge du mot) reste ouvert. On pourra encore collectionner les oxymores pour qualifier le travail de Visser, aujourd’hui représenté dans de nombreuses collections publiques (MoMA à New York, Victoria and Albert Museum à Londres, Fonds national d’art contemporain à Paris) et privées : précieux et rudimentaire, rigoureux et sensible… Ce serait donner trop facilement l’idée d’une démarche indécise là où, au contraire, il y a de la part de l’artiste un engagement déterminé. Notons encore que le projet est porté par une structure indépendante, « Objet de production ». Jerôme Poggi, qui l’anime et signe le texte d’une petite monographie consacrée à la grande installation, a su réunir les lieux et conditions pour une double proposition réjouissante.
Jusqu’au 27 septembre, église Saint-Eustache, rue du Jour, 75001 Paris, tlj 9h30-19h ; hôtel de Missa, 12, rue Barbette, 75003 Paris, tlj sauf dimanche 12h-19h. Cat., éd. Corvisart, 48 p., 8 euros.
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Peinture « Visserale »
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire des expositions : Jerôme Poggi - Organisation : Objet de production
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Peinture « Visserale »