Tantôt écorchées, illuminées ou pleines de rêverie, les figurations de l’homme aujourd’hui sont une tentative de résistance à la déshumanisation du monde, à la conceptualisation, à la désincarnation et au cynisme d’un certain art contemporain. Revue des tendances de l’incroyable diversité de la peinture actuelle.
Si, en France, demeure le goût d’une certaine culture de la tempérance et s’il y réside, au nom des postduchampismes et des formalismes, des réserves tenaces quant à la question de l’engagement et d’un art frayant trop viscéralement avec le mal, nombreux sont pourtant les peintres qui portent un regard incisif sur les noirceurs de nos sociétés. De Ronan Barrot et Cristine Guinamand à Youcef Korichi, de Gaël Davrinche à Damien Deroubaix et Stéphane Pencréac’h, les sujets sont nombreux, d’hier et d’aujourd’hui : exclus, révoltés prolétaires, prisonniers, manifestants, gueules cassées, torturés, décapités, pendus. À la violence des sujets répond celle des formes. La puissance des images, brutes, expressives, saturées, fragmentées, hétérogènes, s’inscrit dans une même veine expressionniste. Difficile pourtant de réduire ces démarches singulières sous une seule bannière. Et si ces peintres ont regardé Goya, Picasso, Rebeyrolle, Bacon, De Kooning ou le néo-expressionnisme allemand, tous ont assimilé maintes formes de réalisme et de références.
Corps fragmentés et malaise social
Certains d’entre eux se sont confrontés à la question du monumental, comme l’œuvre récente de Cristine Guinamand. Dans sa peinture, elle-même morcelée et fracturée, il ne subsiste que des restes de corps. Pour l’artiste, « en 2017, avec les drames actuels, et depuis l’histoire des démembrements de la peinture, avec la guerre et l’expressionnisme allemand, il est impossible de représenter un corps entier ». Toujours elle privilégie l’ambiguïté. Déjà le motif, ici un pied, là une tête décapitée, peut être lu comme restes christiques, ex-voto, masque, représentation ou présentation d’un fragment de sculpture. Issue de divers emprunts, tels les grotesques romains ou le plafond des Loges du Vatican, la figure, mi-humaine mi-animale, prend diverses formes, têtes cornues, gargouilles, mêlées à fleurs et oiseaux. L’écriture aussi est hybride, elle donne forme à des choses reconnaissables ou abstraites, proche du tachisme dans un « énorme vacarme » très coloré, un peu magique, « terrible et beau à la fois ».
D’autres se sont focalisés sur la figure, dans un face-à-face avec l’individu. C’est le cas de Gaël Davrinche dans sa confrontation avec la question du portrait. S’il a su réinventer librement la tradition classicisante, à travers ses portraits corrosifs à la facture gracieuse mais affublés d’accessoires ridicules qui tournent en dérision le culte de l’image et les obsessions de l’ego, l’artiste s’inscrit volontiers dans une veine expressionniste, matiériste, radicale et viscérale, particulièrement marquée par De Kooning, Bacon ou Van Gogh. Dans ses divers portraits se reflète un même malaise social et individuel : violence du monde actuel et pulsion d’autodestruction dénoncées par une destruction radicale de la figure, plongée dans l’intériorité par l’expression de divers états de l’âme, distanciation et désincarnation à mi-chemin entre présence et abstraction dans une sorte de perdition existentielle. Vision pessimiste et désabusée donc, mais, comme le précise l’artiste, « Peindre cette noirceur, c’est aussi une lueur d’espoir, c’est construire les possibilités d’un avenir qui irait mieux en essayant de faire le bien autour de soi ».
Amour et paradis perdus
Peindre l’humain, c’est aussi peindre une révélation. Une même foi en l’homme et en l’art. Pour Nazanin Pouyandeh, Axel Pahlavi ou Simon Pasieka, c’est peindre la beauté de l’amour et du désir créateur. Revisitant les thèmes classiques, leur peinture se peuple de corps gracieux, de nus jouant ou s’ébattant dans des paysages idylliques, déguisés en saints ou incarnant une présence divine. Et leur réalisme, nourri de classicisme, attaché à la transcription du détail, amoureux du rendu des textures, des effets de lumière, joue avec les apparences de la grâce, de l’harmonie, du calme. Mais à bien y regarder pourtant, il s’agit d’un réalisme perverti, distordant le réel, mis au service d’un monde de peinture qui ne cache pas sa fiction et qui crée des visions de l’Eden ambivalentes.
Réinventant les grands mythes, Nazanin Pouyandeh transforme les actes quotidiens et les rapports humains en étranges rituels où se révèlent, souvent à travers la nudité, les instincts premiers. Ainsi ses représentations idéalisées de l’amour et de l’acte même de peindre portent toujours un envers sombre. À la beauté des corps, au plaisir, au calme, au désir de créer se mêlent le chaos, la violence, la jalousie, la pulsion de destruction. « L’idéalisation de la figure, c’est peut-être aussi une illusion idéalisée que l’on a de soi-même », dit l’artiste, « et il y a une recherche désespérée d’un idéal dans la peinture que tu n’atteindras jamais. De toute façon, même si l’extérieur est beau, désirable, l’intérieur est plus complexe. J’exprime cette part ténébreuse de l’homme avec un langage gracieux. »
Les dernières œuvres d’Axel Pahlavi incarnent une foi religieuse sublimée par le sentiment amoureux. Les modèles, amis et proches de l’artiste, ressurgissent dans sa peinture à travers le filtre de la grande peinture, chargés d’emprunts au sacré, métamorphosés par un réalisme qui maîtrise autant qu’il distord le rendu de la lumière, des proportions ou des perspectives, créant ainsi des œuvres à la lecture ambivalente. Les figures toujours apparaissent maquillées, masquées, tachées de peinture, déguisées : sous les costumes apparaît leur fragilité d’homme. Bien sûr, dans l’attention portée à la chair, dans la forte présence des figures irradiées de lumière, on ressent l’incarnation de l’amour : yeux levés au ciel, visages souriants, gestes tendres. Mais la beauté du réel dévoilé et du don sans retour porte aussi le goût de la souffrance et de la dérisoire quotidienneté. Au sentiment de don et de résurrection peuvent se mêler solitude, folie et tristesse. « Il s’agit d’un espace amoureux qui se laisse aimanter par le mal pour l’habiter, comme un virus d’amour », dit l’artiste. Les œuvres d’Axel Pahlavi flottent dans un hors temps où se révèle « Un paradis perdu et retrouvé, dans un rapport de confiance en l’homme. »
Mêlant citations de formes issues du XXe siècle et éléments intemporels, réinterprétant les thèmes classiques à « la hauteur de notre temps », Simon Pasieka interroge une « frontière » entre réel et imaginaire. Ses personnages, à l’âge indéfini, ici nus, là prêtres, semblent dormir, jouer, prier, baignant dans l’atmosphère transparente et calme d’une nature idyllique. Mais toujours entre eux et nous s’immisce un « presque rien » qui crée du trouble. Souvent les figures sont perçues à travers le filtre d’une surface miroitante, une bulle, un miroir, un grand verre. Et toujours un basculement du sens s’opère. Une prière devient jeu mystérieux. La beauté d’un paysage se mue en chant mélancolique. Derrière la peur de la perte, une figure désirante. Là réside pour l’artiste le « miracle » de l’art, « un vrai faux paradis », une rêverie hors du temps qui révèle « l’incroyable possibilité d’imaginer » et de communiquer, de façon non verbale et universaliste.
Nature et métamorphose
Empreinte de réminiscences tantôt du romantisme tantôt du surréalisme, la nature, en lien avec la figure humaine, est très présente dans la peinture actuelle. Toujours mêlée au décalage, à l’hybridation, au mystère des métamorphoses, elle prend corps dans des visions de l’humain très diversifiées.
Certains, comme Leopold Rabus, à mi-chemin entre réalisme et romantisme, explorent l’étrangeté de la vie quotidienne. « Plus proche du romantisme et de Matisse que du surréalisme », l’artiste retranscrit des sensations éprouvées face à un environnement proche, créant un décalage entre les choses vues et ce qu’il en ressent ou en imagine. Arrière de maison ou intérieur aux perspectives multiples, clair-obscur teintant la lumière d’un caractère divin, fusion entre figures et objets, indétermination de l’action, proportions faussées : les visions en deviennent oniriques, bien que toujours plausibles. Telles des ruines romantiques, elles interrogent « ce qui se défait et reprend vie sous une autre manière, de façon poétique ». Parfois de façon sombre, parfois avec humour goguenard, un acte quotidien, un lieu familier se chargent soudain d’étrangeté. Ici la tête d’un homme jouant à s’enterrer dans son jardin, là un objet, une image au mur ou un animal errant habitent le vide de lieux abandonnés. « Moins intéressé par l’actualité que par l’intemporel », l’art de Rabus questionne ce qui dans « l’homme ne change pas », ses instincts chasseurs et érotiques, sa solitude, ses farces.
D’autres explorent des univers plus fantastiques et irréels. Dans la peinture récente de Maël Nozahic, la figure humaine n’apparaît que masquée, dans un caractère intemporel et onirique. Formellement hybride, elle emprunte autant à la précision du réalisme renaissant qu’aux couleurs vives de l’expressionnisme allemand. Faunes, scènes de sabbat, sorcières, arlequin : ses thèmes empruntent à l’art fantastique et au romantisme noir. Sans hiérarchie de valeurs, elle puise dans diverses cultures et religions, se référant récemment au chamanisme et au rituel païen, donnant aux œuvres un caractère magique et spirituel. « S’il peut être lu comme intemporel ou fuite vers une réalité autre, mon travail, dit l’artiste, parle aussi de notre époque, de la place de l’homme dans la nature face aux enjeux écologiques actuels. » La nature polluée, apocalyptique, radioactive reprend toujours ses droits et toujours au sombre se mêlent le coloré et le festif. « C’est une sorte de métaphore de la condition humaine : rire alors que les choses vont mal. »
Partageant avec le surréalisme et le symbolisme noir un goût pour le fantastique et l’hybridité, formellement intéressée par le travail expressionniste et matiériste de Fautrier ou de Rebeyrolle, il est difficile de catégoriser le travail de Marlène Mocquet dans un champ de référence. Prenant la matière et ses aléas comme « matrice » de son œuvre, c’est surtout le travail à l’atelier qui a fait évoluer son univers. « J’oriente mais je laisse aller les choses, j’éduque la matière telle que je la vis au moment où elle est là », dit-elle. Un objet, une matière, une couleur amènent une forme, une anamorphose et alors une histoire, un univers se créent, détail par détail. L’hybridité de la figure, tantôt animal, tantôt arbre ou fruit, fait écho aux instincts humains dans une dimension magique et chamanique : « Le moindre morceau de matière prend vie, forme et âme humaine. » C’est une « manière de croire au pouvoir de la création ». Comme un « rituel », une « force » qui « aide à aller de l’avant ».
Lorsqu’en 2009, pour beaucoup, on découvrait dans son amplitude la peinture expressionniste de Ronan Barrot, né à Argol en 1973, Philippe Dagen écrivait à raison dans le catalogue de sa rétrospective à l’Espace Fernet-Branca de Saint-Louis : « Ça devait arriver. Il devait arriver qu’après des décennies d’abstention, de craintes, d’esquives, d’allusions lointaines, de considérations sur “l’autonomie de l’art” et le matérialisme du médium, un jeune peintre se présente, qui ne craigne pas d’imposer à ses contemporains ce qui leur avait été épargné depuis longtemps : la violence, la peur, le chaos. »
Depuis, la peinture saignante de Barrot, pour qui « peindre, c’est se jeter dans la gueule du Louvre » – son art se nourrit de Poussin, Courbet, Cézanne, Rebeyrolle et autres Bacon, mais aussi du peintre égyptien encore trop méconnu Ibrahim Shahda –, donne à voir, au sein d’espaces théâtraux crépusculaires, des crânes boueux, des crucifixions, des échauffourées entre émeutiers et forces de l’ordre ainsi que des corps comme inexorablement enfoncés dans la terre. L’engagement physique du peintre tient lieu de principe de composition : ses tableaux violents, puissants et imposants, sont moins motivés par l’esthétisme que par la recherche de l’expressivité maximale.
Chez Barrot, la figure humaine est constamment aux prises avec des turbulences picturales (clairs-obscurs volcaniques, explosions de couleurs, surfaces rayées, coups de brosse impulsifs…) afin de couvrir tout le spectre de l’existence humaine, déchirée entre humour et cruauté, Éros et Thanatos, beauté et laideur.
Vincent Delaury
Attention, certaines scènes peuvent choquer : ici, une jolie femme à la bouche ouverte dégoulinante de sperme, là une blonde aux seins lourds est en train de prodiguer une fellation dans un fourré. La peinture du duo pétaradant Ida Tursic & Wilfried Mille, nés en 1974 respectivement à Belgrade et à Boulogne-sur-Mer, est sensuelle et provocante.
Pour ce tandem de jeunes et beaux artistes, « La peinture est mignonne et dégueulasse ! » Certes, si la charge érotique, voire carrément pornographique, est à l’œuvre dans leurs toiles multipliant les dégoulinures picturales comme autant d’éjaculations faciales, mettant les pieds dans le plat d’un art dit noble par excellence, la peinture et son cortège fort intimidant de grands maîtres, il ne faudrait pas réduire leur démarche à une simple décharge née d’une monstration pornographique, car c’est bien plus que cela : « Nous ne faisons pas de porno, c’est de la peinture. »
Nourris tant par la peinture vache de Magritte que par l’ambiguïté peinture/photographie d’un Gerhard Richter en passant par La Pisseuse de Picasso et l’orphisme irradiant de Kupka, Ida & Wilfried frappent dans le mille en réalisant des tableaux trash et hypnotiques qui questionnent brillamment, à coups de salissures brouillant allègrement surface et statut de l’image, la production du fantasme dans une société contemporaine sursaturée de clichés ainsi que la reproduction du réel et la circulation de ses représentations via les magazines de mode, Internet, les images vidéo, les peintures et autres.
Vincent Delaury
Romain Bernini, jeune peintre né en 1979 à Montreuil, crée depuis quelques années une peinture fluide et flottante, lovée dans l’entre-deux de la figuration et de l’abstraction, semblant se souvenir tant des images spectrales de Marc Desgrandchamps que des corps fantomatiques croisés chez Peter Doig. Au sein de végétations luxuriantes, telles des forêts de palmes, et d’étendues de peinture, par aplats et coulures, apparaissent des corps en lévitation, des personnages énigmatiques, migrants, artistes ou exilés, souvent masqués, et des figures en errance, issues d’images sources récupérées dans des documents papier, numériques, films, etc.
Dans ses premiers tableaux, on rencontre des grimpeurs de dos arpentant des plages de couleurs vives et chaudes et, dans ses toiles plus récentes, aux mouvances abstraites fascinantes, ce sont désormais des chamanes qui nous font face, comme s’ils nous appelaient à résister à la violente tension du monde moderne : « Puissance de l’imagination, extase et suspens, jungles artificielles, hallucinations et chamanes autoproclamés, ma peinture, précise le plasticien qui pose dans la presse souvent paré d’un masque primitif, se veut la figure d’un ailleurs fantasmé, d’un voyage, d’un trip depuis l’atelier. »
Il arrive même que l’homme disparaisse totalement de ses compositions, laissant place alors à un paysage archaïque, fusionnant rêve et réalité et bannissant tout repère afin de remettre en question, à l’ère du repli communautaire, territoires, frontières et identités.
Vincent Delaury
Après avoir étudié successivement aux Arts décoratifs et aux Beaux-Arts de Paris, Louise Sartor, femme mystérieuse de 30 ans à la longue chevelure rose, ne représente, via des tableautins réalisés à la gouache, que de jolies jeunes femmes aux fesses pommelées, vues souvent de dos et d’assez loin, saisies en pleine action : consultant leur téléphone portable, portant un sac griffé, attendant un taxi ou buvant des cafés en terrasse. Ces contemporaines prises sur le vif, comme s’il s’agissait d’images volées issues de magazines people, de réseaux sociaux ou de blogs, engendrent, après une séduction de prime abord, un certain malaise. Car il y a quelque chose qui cloche dans ces représentations réalistes : ces femmes citadines n’ont, pour la plupart, pas d’identité propre, leurs visages, du fait d’un cadrage serré, sont pratiquement toujours invisibles, car coupés ou brouillés ; d’autre part, les saynètes dévoilées, donnant l’étrange impression que ces personnages féminins répètent inlassablement des actes quotidiens banals, concourent aussi à leur indétermination même.
Ainsi, avec Louise Sartor, on fait face à une peinture qui aurait pris pour sujet d’étude l’iconographie contemporaine née de l’hypervisibilité offerte par Instagram. En outre, avec ces corps sans visage, la jeune plasticienne semble appliquer à la lettre, comme le rappelait Sabrina Tarasoff à l’occasion de sa manifestation à la Fondation Ricard en 2016, les réflexions de Sam Fussell dans Bodybuilder Americanus : « Le fascisme est sexy parce qu’il rend l’individu anonyme. »
Vincent Delaury
Originaire de l’Isère, né en 1977, il est sorti de l’École des beaux-arts de Paris en 2001 avec les félicitations. Julien Beneyton est un peintre passionné de hip-hop. Représentant sur des panneaux de bois, avec une méticulosité extrême digne d’un peintre flamand du XVe siècle, des rappeurs, des bikers, des satanistes, des tatoués, des sans domicile fixe et autres laissés-pour-compte, ce « peintre classique », à qui aucun détail n’échappe, peint comme il respire, même s’il reconnaît consacrer énormément de temps à ce médium qui exige une lenteur d’exécution. « Je peins ce qui me touche en bien ou en mal. Mon intérêt principal est de témoigner de mon temps, de mon époque, de ma génération. Ma peinture fixe son attention sur un état des lieux. »
Le plus surprenant ici étant certainement que ce peintre actuel, croisant des champs culturels divers (populaire et savant, artistique et mystique), réalise une peinture « habitée » – à savoir de la « bonne peinture » qui échappe à la simple illustration – et parvient à traiter de sujets casse-figure (peindre l’humain, sa misère, ses extravagances, ses marges) sans jamais tomber dans l’exotisme, le pittoresque ou le misérabilisme.
Se penchant tour à tour sur des êtres nourrissant une violence intérieure, tels des boxeurs ou des jeunes de banlieue encapuchonnés, et des personnages tendres (une mamie souriante posant devant un rivage, un petit enfant en pull rose tricoté main…), Beneyton fait preuve à chaque fois, via cette humaine comédie dépeinte avec bienveillance, d’une efficacité de portraitiste redoutable.
Vincent Delaury
Ce qui est étonnant avec Oda Jaune, peintre allemande d’origine bulgare installée à Paris, c’est que cette jolie jeune femme aux manières douces pratique une peinture violente. Avec une précision diabolique, elle manie le pinceau tel un scalpel pour ausculter au plus près « l’humain, trop humain », et représente, façon Gainsbourg qui saluait la beauté des laids, des corps mutants, des personnages difformes ou hybrides : hommes-troncs, femmes amputées, siamois collés par le front et autres ados bicéphales.
Creusant davantage encore son sillon, cette plasticienne sulfureuse, oscillant entre la trivialité et le sacré, la belle et la bête, plonge au plus profond du corps humain pour montrer, à la place des habituels bouquets de fleurs et corbeilles de fruits de la peinture classique, des magmas placentaires mouvants ainsi que des corps faits de poches translucides mâtinées de couleurs tendres ou repoussantes : rose nacré, gris-bleu, rouge sang, glaire marronnasse, etc.
Cette artiste obsessionnelle, fascinée par l’intérieur des êtres, précise : « On essaie toujours de faire un joli emballage de nous-mêmes, mais enlevez le papier cadeau et les couleurs deviennent autres. Et ça peut être très rude. Comme un chirurgien qui écarte délicatement la peau et sépare les chairs. Lorsque je peins, c’est comme si je pouvais toucher et ôter les entrailles des gens. Ce qui m’inspire c’est ce qui se cache derrière, dans les profondeurs. »
Vincent Delaury
« Un dessin »,
exposition collective avec Gaël Davrinche, jusqu’au 18 mars 2018. Galerie Larnoline, 2, rue de l’Évêché, Sauve (30). Du vendredi au dimanche, de 11 h à 13 h et de 15 h à 18 h. Entrée libre. www.larnoline.com
« Axel Pahlavi, L’asile de la grâce »,
du 7 juin au 21 juillet 2018. Galerie Edmond, 17-19, Haubachstraße, Berlin. Du mercredi au vendredi, de 11 h à 16 h. Entrée libre. www.edmond-gallery.com
« Nazanin Pouyandeh, Ruines & plaisirs »,
jusqu’au 3 mars 2018. Galerie Sator, 8, passage des Gravilliers, Paris-3e. Du mardi au samedi, de 14 h à 19 h. Entrée libre. www.galerie-sator.com
« Maël Nozahic, Dromomanie »,
jusqu’au 2 mars 2018. Galerie Art Net Plus, 60, rue de la Rigourdière, Cesson-Sévigné (35). Du lundi au vendredi, de 9 h à 18 h. Entrée libre. www.net-plus.fr
« Marlène Mocquet, Fleuve »,
jusqu’au 9 février 2018. Galerie de la Béraudière, 6, rue Jacques-Jordaens, Bruxelles. Du lundi au vendredi, de 10 h à 18 h. Entrée libre. www.delaberaudiere.com
« Hier vloekt men niet (Ici, on ne jure pas), Damien Deroubaix »,
jusqu’au 1er avril 2018. Centre de la gravure et de l’image imprimée, 10, rue des Amours, La Louvière, Belgique. Du mardi au dimanche, de 10 h à 18 h. Tarifs : 3 à 7 €. www.centredelagravure.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°709 du 1 février 2018, avec le titre suivant : Peindre l’humain au XXIe siècle