Paul Maenz - Galeriste

Pendant vingt ans, l’Allemand Paul Maenz fut l’un des plus grands galeristes européens. Portrait d’un homme élégant

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2010 - 1480 mots

Captant l’évolution de l’art et de son marché, l’Allemand Paul Maenz a été l’un des plus grands galeristes européens.

Qui dit galeriste allemand mythique des années 1970 pense spontanément à Konrad Fischer, le pape de Düsseldorf, promoteur de Carl Andre, Bruce Nauman ou encore Joseph Beuys. Il est pourtant un autre galeriste tout aussi fondamental, Paul Maenz, qui œuvra de 1970 à 1990 à Cologne. Deux personnalités, deux styles aux antipodes l’un de l’autre. « Paul était plus commerçant que Konrad. Il pouvait travailler au corps un collectionneur pendant des jours, il lui parlait de manière brillante des œuvres », relate Daniel Buren, l’un des rares artistes à avoir exposé chez les deux galeristes. « C’était l’antithèse de Konrad Fischer, qui était plus dur, radical, avec une sélection plus resserrée, mais qui, par principe, ne voulait pas parler, même avec les collectionneurs. Paul n’était pas d’un tempérament jaloux, il pouvait dire un grand bien des artistes qui n’exposaient pas chez lui, alors que Konrad était jaloux de tout. » 

Flairant tant les évolutions artistiques que celles du marché, Maenz montra aussi bien Hanne Darboven, Joseph Kosuth et Jan Dibbets que Keith Haring et la Trans-avant-garde italienne. Opportunisme ? Selon Kosuth, l’homme idéaliste des débuts serait devenu cynique à un moment sans qu’il ne saisisse la raison de ce basculement. « Il ne s’agit pas forcément d’un choix commercial, car Paul a accompagné ces mouvements très tôt, en exposant par exemple une année entière des artistes italiens seulement. Il est aussi très fidèle », défend Buren. Ces coq-à-l’âne esthétiques se retrouvent dans sa collection, constituée aussi bien d’achats personnels, de témoignages d’amitié de la part des artistes que d’invendus de la galerie. Pour traduire l’esprit de son ensemble de dessins exposé en 2003 au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) de Picardie, l’institution mit en place une scénographie labyrinthique. « Sa collection est, comme il le dit lui-même, une pelote de laine. On tire un fil qui en amène d’autres auxquels on ne s’attend pas, remarque Yves Lecointre, directeur du FRAC. Sa grande qualité, c’est d’avoir été réceptif à ce qui pouvait se produire. » 

Boutique hippie 
L’éclectisme de Maenz pourrait s’expliquer par son premier métier de publicitaire. Mais cet enfant de la guerre fit d’abord ses armes dans une école d’art pétrie des préceptes du Bauhaus. « D’un côté je voulais être artiste, de l’autre je voulais être impliqué dans la réalité. Dans les années 1950, il était question partout de reconstruire, de réinventer. Le pays devait retrouver une conscience et un auto-respect », rappelle-t-il. C’est alors qu’il bifurque vers la publicité, en travaillant pour l’agence Young & Rubicam, d’abord à Francfort-sur-le-Main puis à New York. À son arrivée aux États-Unis, il rencontre les tenants de l’art minimal, Sol LeWitt et Carl Andre. Pourquoi s’intéresser à ce courant quand sa profession l’aurait plutôt conduit vers le pop art ? Pour le côté rationnel et précis. N’oublions pas que Maenz a été nourri au lait du constructivisme lors de ses études.  Lorsqu’il revient deux ans plus tard à Francfort, les émeutes estudiantines vont bon train. Maenz tourne alors le dos à la publicité. « Je me sentais de plus en plus mal à l’aise à l’idée de travailler pour une agence américaine qui essayait d’ignorer tout ce qui se passait, comme la guerre au Vietnam », indique-t-il. Avec l’artiste Peter Roehr, il organise en 1967 sa première exposition dans une galerie universitaire sous le titre « Serielle Formationen ». Le duo y montre Carl Andre, Agnes Martin, Christo, Vasarely, mais aussi Konrad Lueg, alias Konrad Fischer. Les complices remettent ça, dans une ferme à la campagne, invitant Jan Dibbets, Richard Long, Barry Flanagan, Gilbert & George, tous rencontrés grâce au bouche à oreille entre artistes. En 1969, Konrad Fischer inaugure sa galerie à Düsseldorf. Maenz, lui, se tâte encore. Pendant un an et demi, il tiendra une boutique hippie baptisée « Pudding Explosion », vendant pêle-mêle des écrits de Mao, des livres politiques, des objets psychédéliques, de la musique pop et des affiches de Che Guevara. « Je pensais qu’une galerie n’était pas assez efficace et politique, souligne-t-il. J’ai gardé la boutique aussi longtemps qu’elle pouvait être subversive, or, après un an et demi, c’était devenu quelque chose d’établi. Je l’ai alors laissée tomber. » 

Il ouvre en 1970 sa galerie à Cologne, une ville traditionnellement commerçante, mais aussi plus neutre que Düsseldorf, verrouillée par la personnalité de Joseph Beuys. « J’étais politique, mais je n’étais pas naïf. Düsseldorf était trop petite pour deux galeries ayant un programme similaire. Cologne m’apportait une audience internationale, alors que Düsseldorf vivait repliée sur elle-même », précise l’intéressé. Une émulation féconde s’engage alors avec Konrad Fischer, lui aussi arc-bouté sur le créneau de l’art conceptuel et minimal. Mais entre la personnalité très virile et autiste de Fischer, et celle raffinée et élégante de Maenz, le courant ne passera jamais. Qu’importe, Maenz montrera Hans Haacke, Robert Barry mais aussi Art & Language, publiant tous les ans un livre pour garder la trace des événements. Alors que le marché de l’art était balbutiant pour ces formes artistiques, il tire son épingle du jeu grâce à sa faconde. « Paul était très pédagogue et se montrait capable de perdre une heure avec un étudiant », se souvient Buren. Forte d’une écurie internationale, sa notoriété dépasse très vite les frontières germaniques. « Pour un jeune artiste comme moi, exposer chez Maenz, c’était le nirvãna. C’est comme exposer aujourd’hui chez Gagosian, en mieux car il y avait un vrai engagement dans l’art », raconte l’artiste Noël Dolla, qui a exposé chez lui en 1976.

C’est précisément à partir de cette date que Maenz fait un virage à 180 degrés, et montre pendant douze mois des artistes de la scène italienne comme Enzo Cucchi, Mimmo Paladino, Jannis Kounellis ou Francesco Clemente. « Je trouvais que les artistes minimalistes étaient encore formidables, mais c’était devenu académique. L’arrière-plan mental des artistes italiens que j’ai présentés était aussi intellectuel et conceptuel », justifie-t-il. Ce grand écart n’est somme toute guère différent de celui d’Yvon Lambert à Paris. Maenz poursuit son exploration picturale avec Anselm Kiefer en 1980, puis Keith Haring, dont il organise la première exposition en Allemagne en 1984. Mais la lassitude le gagne. « À la fin des années 1980, on ne pouvait guère grossir plus, déclare-t-il. Nos clients n’étaient plus en Allemagne. Je ne me voyais pas déménager dans un autre pays à l’âge de 50 ans. Il ne faut pas rater le moment où il faut s’arrêter. Castelli a eu une galerie brillante et, à la fin, un triste magasin. Ce que j’aimais, c’était travailler avec de jeunes artistes, mais eux ont besoin de galeristes jeunes, qui ont le même style de vie, le même univers. » Certains de ses confrères lui reprochent d’avoir jeté l’éponge après avoir rentabilisé sa galerie, échappant de peu à la crise. D’autres s’irritent du fait qu’il ait vendu ses archives à la Getty Foundation [Los Angeles] au lieu de les offrir.

Sa fermeture en 1990 coïncide avec la réunification allemande, avant son déménagement deux ans plus tard à Berlin. « Berlin est la seule ville où vous pouvez devenir berlinois, comme vous devenez new-yorkais alors que vous venez de l’Ohio, précise-t-il. À Hambourg, on ne peut pas devenir pleinement citoyen si on n’en est pas originaire, pas plus qu’on ne peut devenir bavarois. »   Vision critique Au début des années 1990, alors qu’il visite la ville de Weimar, il songe à y laisser sa collection. Il cédera au Neues Museum de la ville 25 % de sa collection, donnera 25 % d’œuvres supplémentaires et consentira au dépôt du reste. Mais en 2005, Maenz décide de récupérer les pièces laissées en dépôt. Dans cette ville tournée vers le passé plus que vers l’avant-garde, ses œuvres n’étaient guère valorisées, rejoignant peu à peu les réserves.

L’idée d’un partenariat institutionnel titille cependant encore l’ancien galeriste. Il négocie actuellement avec la Neue Nationalgalerie de Berlin pour créer une fondation associée au musée, laquelle abriterait sa collection et mènerait des activités de recherche. Bien qu’il ait quitté le cercle des marchands, Paul Maenz continue à acheter de l’art contemporain, sans se départir de sa lucidité. « Il voit les richesses et les limites de tout. Il a une vision très critique, une distance par rapport au milieu de l’art qu’il trouve parfois très nombriliste, confie le galeriste berlinois Mehdi Chouakri. Il est content de ne plus être galeriste et ne regrette pas le pouvoir qu’il a eu. Il a une autre vision des choses. » Une vision où se mêlent engagement et pragmatisme.

Paul Maenz en dates

1936 Naissance à Gelsenkirchen (Allemagne).

1970 Ouverture de sa galerie à Cologne.

1990 Fermeture de sa galerie.

2003 Exposition de sa collection de dessins au Fonds régional d’art contemporain de Picardie.

2005 Récupère les œuvres laissées en dépôt au Neues Museum de Weimar.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Paul Maenz - Galeriste

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