À Roubaix (Nord), l’Espace croisé présente cinq travaux vidéo de Marie Voignier, née en 1974. Autant de réflexions sur l’idée de possibilité ou d’hypothèse et de porosité entre réel et fiction.
Dans plusieurs films projetés ici, il semble que vous cherchiez à interroger un sujet ou un objet qui n’apparaît jamais. C’est le cas dans L’Hypothèse du Mokélé-Mbembé (2011), où vous partez en Afrique à la recherche d’un animal dont on ne sait s’il existe ou non, mais aussi dans Hearing the shape of a drum (2010), où vous filmez les journalistes dépêchés au procès de Josef Fritzl…
Ce n’est pas un sujet en soi dans la mesure où ce n’est pas présent dans tous mes films. Mais, effectivement, il y a dans ces deux vidéos cette idée de l’image que l’on ne voit jamais, un point noir autour duquel tout tourne. Dans d’autres travaux, on retrouve, un peu en lien avec cela, un certain regard porté sur l’échec, comme dans Western DDR [2005] avec ce parc d’attractions allemand qui a fait faillite. Là aussi je tourne autour de l’enclos, puisque je ne filme que depuis l’extérieur et que je reconstitue un lieu par des témoignages et d’autres images importées. Il y a une tension dans ces situations de perte de l’image et d’échec qui sont toujours en lien avec la représentation que l’on n’arrivera jamais à atteindre. On retrouve cette idée de la représentation impossible, ni immédiate ni facile, qui provoque des tensions dans le réel.
Ces tensions vous interpellent-elles ?
Absolument ! Dans Going for a walk [2007] par exemple, j’ai demandé à une actrice de rejouer cinq fois une même scène à consonance autobiographique. Il était prévu d’aller d’une forme spontanée de l’entretien vers une forme chaque fois plus mise en scène. Ce dispositif s’est brisé lorsque l’actrice a refusé de continuer à jouer ce rôle-là.
Avez-vous, ici, cherché à tracer une frontière entre le réel et la mise en scène ?
Au départ, je me plaçais sur le mode de l’expérimentation, sans en connaître le résultat. Cela m’intéressait de voir où allait progressivement se faire le décalage vers la fiction. Je comptais partir d’un texte donné et petit à petit faire apprendre à l’actrice son propre texte en même temps que lui donner des indications scéniques bien plus précises, afin que cela devienne une vraie mise en scène, une fiction de sa propre vie. Mais cela a été contrarié par sa rébellion après lui avoir demandé de se mettre en fiction elle-même. Nous n’avions pas mesuré, je crois, que cette mise en fiction de soi-même pouvait, dans la répétition, être finalement assez violente et ainsi refusée.
Là, tout comme dans Western DDR ou Des trous pour les yeux (2009) se pose la question du jeu de rôle. Est-ce pour vous un terrain d’investigation ?
Cette question du jeu de rôle a été l’un de mes premiers terrains d’exploration. Dans Des trous pour les yeux, coréalisé avec Vassilis Salpistis, nous avons invité un ethnologue/muséologue à se mettre lui-même en scène mais avec un dépassement, car nous lui demandions de transgresser son rôle de scientifique en essayant le costume qu’il était censé conserver ou exposer, et en le laissant jouer le personnage qu’il imaginait derrière. Contrairement à Going for a walk, ce dispositif-là est complètement englobé dans une fiction puisqu’on le fait jouer à essayer le costume… Il y avait donc une base beaucoup plus fictive. Mais avec toujours ce point de basculement dans le réel qui nous intéressait, ces moments où lui parle de son métier, de son statut social…
Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce point de basculement entre fiction et réel, qui ne s’opère pas toujours dans le même sens puisque parfois la fiction bascule dans le réel, et dans d’autres cas c’est l’inverse ?
Ce qui m’intéresse est la porosité entre les deux. Là où l’on définit la fiction, c’est dans ses frontières. Donc ce point de porosité est une manière d’explorer et la fiction et le réel en même temps. C’est un lieu de questionnement, de forme aussi, car la fiction pure m’intéresse assez peu en fait. Mais ces zones de questionnement sont des zones d’ouverture. Tout y est possible, car on est sur une frontière.
jusqu’au 30 avril, Espace croisé, centre d’art contemporain, 14, place Faidherbe, 59100 Roubaix, tél. 03 20 73 90 71, www.espacecroise.com tlj sauf dimanche et lundi 14h-18h. Catalogue à paraître
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Paroles d'artiste - Marie Voignier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Marie Voignier