Au Musée du Louvre, l’artiste libanais Walid Raad interroge superbement l’autorité de l’image et l’évolution du regard sur les œuvres des collections.
PARIS - Il est parfois des expositions qui, tout en étant d’une grande sécheresse, entraînent loin l’esprit et le regard, preuve de leur générosité conceptuelle, de leur pertinence et surtout de leur belle intelligence. Assurément, la proposition émise par Walid Raad pour le Louvre est de celles-là.
Dans la petite salle de la Maquette plongée dans la pénombre est suspendue une curieuse architecture aplatie : des façades de musées occidentaux s’enchaînent en un mouvement circulaire tandis que le positionnement et l’intensité changeants de la lumière engendrent des ombres de différente nature, des apparitions et disparitions contribuant à installer une fiction de l’architecture à travers son aplatissement et sa recomposition.
Pièces mutantes
Coutumier d’un travail critique sur les archives et la notion de document, la manière de les lire, d’en appréhender ou d’en accepter la teneur, l’artiste libanais a bâti son projet à partir des événements que sont la future ouverture de l’antenne émiratie du musée et celle récente du département des Arts de l’Islam. Immergé dans les réserves et archives de l’institution, Raad s’est là encore frotté à l’idée de mutation : il a appliqué des motifs sur des reproductions d’objets issus des collections et a regroupé ces images dans un livre d’artiste, avant que celles-ci ne se matérialisent en 2014 pour aller se glisser dans les vitrines des véritables antiquités. La forme de ces « créations » n’entretient souvent qu’une très lointaine filiation avec l’objet qu’elle est censée représenter. Ce faisant, l’artiste ne se contente pas de piéger l’œil et brouiller les pistes, il procède à un déplacement qui remet en cause l’autorité du discours. Il joue sur la supposée vérité délivrée par l’image, particulièrement lorsqu’elle se rapporte à des objets devenus institutionnels et provenant d’une région sans cesse redécouverte, attisant nombre de craintes et fantasmes.
L’entreprise se révèle d’autant plus percutante qu’elle s’accompagne d’un film qui, démarrant sur des abstractions de lignes colorées, voit progressivement et toujours furtivement apparaître des fragments de ces objets qui tentent en vain de s’imprimer sur l’écran, renforçant leur aspect d’énigmes optiques. Fondamentale est dans ce travail sur la vision l’idée de la disparition : « Ne rien voir est parfois voir quelque chose, et l’on devient sensible à ce rien », assène Raad. Avec cette proposition, il prépare à une évolution du regard sur les œuvres des musées, mettant à contribution la fiction et l’imaginaire dans une possible redéfinition de leur lecture
Commissaire : Marcella Lista, responsable de la programmation en art et architecture contemporains, Auditorium du Louvre Nombre d’œuvres : 3
jusqu’au 8 avril, Musée du Louvre, salle de la Maquette, 75001 Paris, tél. 01 40 20 50 50, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-17h45, mer. et ven. 9h-21h45. Livre d’artiste Préface à la troisième édition, co-éd. Louvre/Bernard Chauveau, 28 ill., 25 €.
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Mutations optiques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Mutations optiques