MONTPELLIER
MOCO pour Montpellier Contemporain. Ce projet, pensé à l’échelle d’une ville jusqu’ici absente de la carte, réveille l’appétence locale pour l’art contemporain sous toutes ses formes. Un pari culturel et économique non dénué d’enjeux politiques.
Que se passe-t-il à Montpellier ? La métropole méridionale a longtemps accusé un net retard en termes d’art contemporain – elle ne comptait ni musée ni centre d’art dédiés. Voilà qu’elle semble d’un coup prise d’une véritable frénésie. De l’ouverture, dans le quartier de la gare, du Moco-Hôtel des collections, jusqu’à la future Fondation Helenis CGL attendue sur la place de la Canourgue en passant par La Serre, galerie d’art installée au rez-de-chaussée du totémique Arbre blanc livré par Sou Fujimoto, les initiatives publiques et privées pullulent soudain dans le paysage culturel local.
« Il manquait à Montpellier une vraie proposition d’art contemporain », convenait il y a quelques semaines Philippe Saurel, le maire et président de la métropole. Cette lacune, Nicolas Bourriaud est venu, à sa demande, la combler avec un projet, le Moco, fédérant l’école des beaux-arts, la Panacée et, « vaisseau amiral » de l’ensemble, l’Hôtel des collections, sis dans l’hôtel Montcalm [lire encadré]. Le budget de fonctionnement est estimé à six millions d’euros répartis sur chacune des trois entités. Emblématique, l’opération « 100 artistes dans la ville », du 8 juin au 28 juillet, témoigne des ambitions qui ont désormais cours. La manifestation, qui s’inscrit dans une politique culturelle d’ouverture au grand public développée sous la forme de Zones artistiques temporaires (ZAT), a été cette année constituée en événement majeur, son commissariat étant confié à Nicolas Bourriaud. L’idée est de rendre hommage, à cinquante ans de distance, à un festival d’art spontané qui, en mai 1970, avait investi pour trois semaines plusieurs lieux de la ville. Une « joyeuse fête bricolée », se souvient Christian Laune, le fondateur de Chantiers Boîte Noire, galerie d’art réputée de l’Écusson : « C’était une émanation des membres de Supports-Surfaces, faite de banderoles, de morceaux de carton et de bouts de ficelle… Mais il y avait une belle énergie, une volonté de casser un système étouffant. C’était des révolutionnaires. On est loin aujourd’hui de cette dynamique. Les artistes veulent des moyens et le public est habitué à des productions parfaitement maîtrisées. Cela ne va pas sans une certaine lourdeur. »
À défaut de l’esprit, restent « le format et les intentions », estime pour sa part Nicolas Bourriaud. Quant à l’Hôtel des collections, c’est, selon lui, « une institution d’une nouvelle espèce ». Le concept clé du Moco, « pensé comme un parcours » ? La dimension « collaborative » du projet : le Moco entend travailler avec l’opéra, le Centre chorégraphique national, le Musée Fabre… Il s’agit d’innover. Parmi les changements à l’ordre du jour, Nicolas Bourriaud a également décidé de remplacer dès la rentrée Drawing Room, un salon du dessin en perte de vitesse, par un nouveau festival, BOOM, consacré aux artistes émergents. Ainsi, l’art contemporain, hier maillon faible de la culture montpelliéraine, est-il passé au premier plan.
La Cité créative en offre une autre illustration. Dans un contexte, où, ainsi que le rappelle Chantal Marion, adjointe à l’urbanisme opérationnel et vice-présidente chargée du développement économique, « le foncier est rare et cher », le maire de Montpellier a en effet pris la décision de convertir un ancien site militaire de 12 000 m2 en un quartier mixte mêlant start-up, entreprises et grandes écoles. La coopérative Illusion & Macadam, à l’origine depuis cinq ans d’un festival de culture numérique, a, pour sa part, imaginé de transformer l’ancien atelier de mécanique de 4 000 m2 en un « tiers-lieu » comprenant un « village » de près de deux cents entrepreneurs issus des industries créatives et culturelles, mais aussi une scène, un espace de restauration et une galerie d’exposition.« Il y a très peu de passé industriel à Montpellier, donc très peu de friches et de culture alternative, observe Vincent Cavaroc, directeur artistique en charge de la programmation de cette Halle Tropisme. La parcelle a surtout aiguisé les appétits de promoteurs et c’est un choix audacieux de la part de la métropole de miser sur la culture. » Reste qu’il fallait inventer un modèle économique. « Nous disposons de cet espace pour onze ans, à charge pour nous de financer sa rénovation et son aménagement. Nous avons levé deux millions d’euros. L’amortissement de cet investissement repose sur la location des deux cents postes de travail. Professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, spécialistes en réalité virtuelle, bureaux de compagnies de danse ou de théâtre, architectes, urbanistes, graphistes… Les structures que nous avons sélectionnées comptent de une à dix personnes et nous sommes à 100 % de taux de remplissage. » La programmation culturelle du lieu est à l’image de cette diversité créative : Edgar Morin peut y animer le lundi une conférence sur le bien commun, quand le mardi s’y déroule une performance culinaire autour des huîtres et, le lendemain, un festival sur la nouvelle vague des artistes queer de Bucarest. Au gré de l’inspiration, et des partenariats.
L’implantation de l’Esma, École supérieure des métiers artistiques classée au top 10 mondial, est elle aussi très attendue sur le site. « Nous avons construit notre réputation sur l’ouverture à l’entreprise et à l’international », souligne son fondateur Karim Khenissi. l’Esma s’est, entre autres, engagée à réhabiliter et à partager l’ancienne salle de projection de la caserne. « L’entrée, de 250 m2, va devenir une galerie d’art urbain, confiée à l’artiste Salamench », complète Karim Khenissi, qui « adore le street art ».
« Montpellier est une ville jeune, avec une population curieuse d’art contemporain », relève Michel Hilaire, directeur et conservateur du Musée Fabre. Nocturne étudiante, rotation de la collection à un rythme soutenu pour valoriser l’ampleur du fonds, expositions à succès… Depuis sa réouverture en 2007, le musée voit sa fréquentation se maintenir autour de 300 000 visiteurs par an – dont 55 000 scolaires. « La carte française des grands musées de région est plus dotée dans la partie nord ; il y avait une carence entre Bordeaux et la frontière italienne que le Musée Fabre est venu pallier. » Dans cette perspective hexagonale, Michel Hilaire se félicite de l’arrivée d’un lieu d’art contemporain, qu’il juge « complémentaire ».
« Cela fait longtemps qu’il y a ici un désir, une appétence pour l’art contemporain. On trouve de nombreux amateurs et collectionneurs dans la région. » Au point que le directeur du musée a créé voici douze ans une fondation d’entreprise rassemblant une trentaine de membres, parmi lesquels Gilbert Ganivenq, ex-PDG du groupe immobilier Promeo et fondateur d’Art & Patrimoine. À travers cette nouvelle entité, ce collectionneur boulimique crée des galeries (Le Réservoir sur 2 000 m2 à Sète, La Serre à Montpellier) et propose à des entreprises un service complet de vente à crédit, de livraison et d’accrochage d’œuvres issues de son stock – de l’art brut au street art. Mais le club de mécènes du Musée Fabre comprend également des cliniques privées, des notaires, des banquiers… qui abondent à hauteur de 300 000 euros par an les finances de l’établissement, lequel peut ainsi mener une dynamique politique d’acquisition.
À l’occasion de la manifestation « 100 artistes dans la ville », le musée a d’ailleurs passé commande à l’artiste japonais Ei Arakawa. Son œuvre, Untitled, (Gustave Courbet, La Rencontre, 1854), prendra place dans la cour. Tissu lumineux en LED et dimension sonore, elle traduit l’ouverture de la collection aux nouveaux médias. Il faudrait aussi parler du Carré Sainte-Anne, dont Michel Hilaire doit assurer la programmation en faisant appel à des artistes vivants : sa réouverture a été repoussée à 2021.
Tout n’est pas pour autant rose sous le ciel bleu méridional. Ancien directeur artistique du Carré Sainte-Anne, Numa Hambursin élabore ainsi une vision très critique. Après un départ retentissant fin 2017 pour cause de désaccord avec Philippe Saurel, il déplore en effet que l’art contemporain soit devenu à Montpellier « un enjeu politique », voire un « outil de propagande au service de la communication du maire ». Lui qui a travaillé en tandem avec Michel Hilaire à la préfiguration de la future institution de l’hôtel Montcalm observe aussi que « le lieu aurait pu ouvrir il y a deux ans. Mais pour des raisons de calendrier électoral, il a été décidé de l’inaugurer cet été. C’est une forme d’instrumentalisation de l’art contemporain ».Pour Nicolas Bourriaud, la culture, sous l’impulsion politique de la métropole, est bien plutôt « un outil de développement du territoire » incluant le Crac à Sète et le Mrac de Sérignan. « La ville, géographiquement située entre Marseille et Barcelone a de nombreux atouts. » Ce potentiel montpelliérain ne fait de doute pour personne, surtout pas pour Numa Hambursin, depuis deux ans directeur artistique de la Fondation Helenis CGL, dont le bâtiment entièrement rénové doit ouvrir ses portes en novembre place de la Canourgue, avec le faste d’un palais contemporain accueillant des œuvres in situ signées Abdelkader Benchamma, Jim Dine, Jan Fabre et Marlène Mocquet. « Venise ou Rome sont mes références », écrit Numa Hambursin. « Depuis les années 1980, il y a toujours eu une présence de l’art contemporain à Montpellier mais elle était privée, parfois associative, et souterraine », estime le galeriste Christian Laune. L’opportunité saisie par Philippe Saurel crée un circuit qui nous rend enfin visibles. » Et place, enfin, selon Nicolas Bourriaud, « Montpellier sur la carte ».
L’Hôtel des collections, cerise sur le Moco
« Nous voulions éviter de poser une sorte d’aérolithe dessiné par un architecte star en périphérie d’un centre urbain. L’Hôtel des collections est tout l’inverse : un bâtiment réhabilité, à proximité du centre-ville », affirme Nicolas Bourriaud, directeur général du Moco. Les Montpelliérains pourront découvrir, dès le 29 juin, cette nouvelle institution qui, à quelques pas de la gare, occupe l’hôtel Montcalm, lequel trouve ainsi enfin une vocation fréquentable. À défaut d’édifice iconique, nul ne doute cependant du fort potentiel instagrammable d’un lieu qui comprend un parc paysagé par l’artiste Bertrand Lavier en « jardin-atlas », un restaurant-bar dont le plafond accueillera The Unplayed Notes Factory, œuvre de Loris Gréaud conçue sur l’île de Murano, et, enfin, une mystérieuse Cour des fêtes dédiée à l’événementiel. Le parti pris retenu consiste à exposer « des collections contemporaines », publiques ou privées, françaises ou étrangères. Le coup d’envoi est donné avec la présentation d’une partie de la collection de l’entrepreneur japonais Yasuharu Ishikawa dont le commissariat est assuré par Yuko Hasegawa, directrice artistique du musée d’art contemporain de Tokyo. À l’affiche, une cinquantaine d’œuvres d’artistes internationaux tels que Felix González-Torres, Pierre Huyghe, Tino Sehgal ou Simon Fujiwara.
Anne-Cécile Sanchez
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Montpellier, nouvelle venue sur la carte de l’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Montpellier, nouvelle venue sur la carte de l’art contemporain