Le LaM ouvre ses salles à l’œuvre influencée par le surréalisme de Meret Oppenheim et lève le voile sur la personnalité complexe d’une artiste libre qui n’a pas été qu’une muse.
VILLENEUVE-D'ASCQ - De l’ARC au LaM : organisée en collaboration avec le Kunstforum de Vienne et le Martin-Gropius-Bau de Berlin, où elle a été présentée précédemment, la rétrospective de Meret Oppenheim au LaM à Villeneuve-d’Ascq (Nord) est la plus importante jamais consacrée en France et la première dans un musée depuis trente ans. Depuis 1984 exactement, à l’ARC, Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Avec une sélection d’environ 200 œuvres, l’exposition crée l’événement, d’autant plus qu’elle présente une importante figure, mystérieuse et mal connue.
Née en 1913 à Berlin-Charlottenburg, ayant grandi en Suisse, elle est venue étudier l’art à Paris en 1932. C’est là, au café du Dôme à Montparnasse, qu’elle a d’abord rencontré Alberto Giacometti, puis Jean Arp. Ils sont les premiers à visiter son atelier et à l’introduire dans le cercle des surréalistes. Ils l’invitent même à exposer avec ces derniers au Salon des surindépendants en 1933. Elle a 20 ans. C’est dans un autre café, celui de la place Blanche, qu’elle commence à voir André Breton et Man Ray qui, cette même année, la magnifie et l’immortalise dans cette célèbre photo Érotique voilée, où elle apparaît nue, à peine masquée par la roue d’une presse à imprimer. C’est encore dans un café, le Flore cette fois, qu’elle rencontre Picasso et Dora Maar. Ce jour-là, ils admirent l’un des désormais fameux bracelets qu’elle a réalisés pour Elsa Schiaparelli, un cercle de laiton recouvert de fourrure. L’histoire raconte que Picasso aurait évoqué de recouvrir ainsi d’autres objets du quotidien et que Meret Oppenheim aurait montré la tasse qu’elle avait devant elle. Plus tard, invitée à participer à l’« Exposition d’objets surréalistes » à la galerie Charles Ratton, elle y expose son futur célèbre Le Déjeuner en fourrure : une tasse, sa soucoupe et sa cuillère, recouvertes de fourrure de gazelle de Chine. C’est André Breton qui en a trouvé le titre, croisement du pique-nique de Manet avec son Déjeuner sur l’herbe et de la Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch. « Qui a recouvert la cuillère à soupe de fourrure précieuse ? C’est la petite Meret...» écrira même Max Ernst. L’œuvre est achetée par Alfred H. Barr pour le MoMA de New York. On est en 1936, elle a 23 ans. Elle est célèbre, n’a pas encore tout fait, mais déjà beaucoup. D’ailleurs, l’année suivante, elle arrêtera quasiment de travailler ou du moins détruira beaucoup, et ce pendant presque vingt ans, jusqu’en 1954, avant de continuer jusqu’à sa mort, à Bâle, en 1985.
Au-delà de la tasse en fourrure
Toutes ces œuvres fétiches et iconiques sont présentes dans l’actuelle exposition. La commissaire (et directrice-conservatrice du LaM) Sophie Levy a fait le choix d’un accrochage thématique, en huit étapes, plutôt que chronologique, puisque le parcours de l’artiste n’est en rien linéaire et qu’elle reviendra régulièrement au cours de sa carrière sur ses mêmes obsessions. La première salle, intitulée Autoportraits énigmatiques et axée sur le thème de l’identité, en rend immédiatement compte. Indissociable de celui de l’apparence, l’artiste questionnera ce thème toute sa vie, sous l’angle de la muse, de la femme, de la femme artiste, ou de la femme artiste surréaliste, une étiquette qu’elle refusera, tout en l’étant sans l’être complètement. Complexe. D’autant que, dans les salles suivantes (Le jeu comme stratégie artistique, Les rêves et l’inconscient), l’influence de Dada et des surréalistes, la pratique du cadavre exquis, son rapport à l’inconscient (guidé par Carl Gustav Jung), la création d’œuvres à partir de rêves qu’elle notait dans un journal etc., la rapprochent de ce mouvement artistique. Tout le parcours est ainsi jalonné par ses sujets de prédilection : les mains, la nature, l’érotisme, différents mythes, le langage, des figures récurrentes comme le serpent et des jeux de télescopage, de rencontres fortuites et de mises en tension d’éléments disparates. Aussi bien dans ses objets, où elle excelle, que dans ses dessins ou peintures (plus inégales).
L’un des grands mérites de l’exposition est de permettre de découvrir ou de revoir des pièces peu montrées, voire jamais en Europe comme Bon appétit, Marcel (La Reine blanche) de 1966-1978, ready-made en clin d’œil à Marcel Duchamp. Elle les dépoussière et les place dans une perspective d’autant plus réactualisée que vient d’être montré « Le Surréalisme et l’objet » au Centre Pompidou. Enfin, ici est rappelé qu’au-delà de toutes les étiquettes réductrices, Meret Oppenheim a toujours été une artiste et une femme libres.
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Meret Oppenheim, de la muse à la fourrure
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LaM-Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art Brut, 1 allée du Musée, 59650 Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68 ou 68 51
www.musee-lam.fr
mardi-dimanche 10h-18h.
Légende photo
Meret Oppenheim, Bon Appétit, Marcel ! (La Reine blanche), 1966-1978, matériaux divers ; 32 x 32 x 3 cm, collection Foster Goldstrom. © Photo : Chris Puttere.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Meret Oppenheim, de la muse à la fourrure