Mark Geffriaud prend possession de l’espace de gb agency, à Paris, avec des installations de grand format où des interventions précises et ténues – positionnement d’images, de dessins ou de feuilles de papier, percement d’une ouverture ou projection… – questionnent contours de l’œuvre et points de vue.
Les quatre œuvres occupant l’espace principal de la galerie sont constituées de grandes parois de bois sensiblement identiques, mais qui adoptent des angles différents…
Ces cloisons sur charnières ont un angle qui correspond aux trois angles types : fermé, ouvert et droit. Il s’agissait d’épuiser un peu de leur potentialité ; cela fait partie du principe même de monstration. Je souhaitais aussi intégrer ce système de cloisons comme une partie intégrante de l’œuvre montrée dessus, dessous, à travers, etc. C’est la raison pour laquelle elles ont une taille qui les apparente un peu à des livres agrandis, mais le matériau brut peut également renvoyer à une sorte de maquette à l’échelle 1. Il y a donc comme un indéterminé entre une sorte de découpe d’architecture, un fragment peut-être, et une maquette, un objet. Je voulais aussi jouer sur l’indétermination d’échelle.
Avec ces parois, le travail prend, en effet, une dimension architecturale. Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’idée d’indétermination de l’échelle ?
Je me suis inspiré du livre de Henri Poincaré, La Science et l’hypothèse, dans lequel il revient sur le choix de la géométrie euclidienne par rapport à d’autres systèmes tout aussi valables, mais dont il dit qu’ils sont moins commodes. Il y aborde, en outre, la manière dont cette géométrie a fourni un cadre à la perception, mais a également conditionné le mode perceptif. Il s’intéresse donc à comment, en adoptant un point de vue et en essayant, par exemple, de compenser un mouvement, on peut se retrouver dans une position physique relative à un objet similaire. J’ai donc beaucoup pensé à cette idée de pouvoir travailler l’exposition à la fois comme un système d’œuvres montrées – ce qu’on regarde –, et à la fois comme une expérience physique où l’objet conditionne également le point de vue qu’on adopte quand on le regarde, donc la manière de le regarder. C’est cette indétermination-là qui m’intéressait. Dans la galerie, on a suffisamment de recul pour pouvoir appréhender ce système de cloisons comme un tout, et quand on s’en approche il devient le support. Finalement, il s’agissait de dessiner des pièces avec des contours un peu flous, afin qu’on ne sache pas véritablement où commence ni où se termine l’œuvre.
Le point de vue et la perception sont dans beaucoup de vos travaux des préoccupations importantes. Ici, le jeu des angles permet de multiplier les approches…
Une des choses qui m’intéressait particulièrement ici, c’est qu’en multipliant les points de vue on multiplie aussi les trajets. Cela invite à une sorte de circonvolution puisqu’on peut toujours faire le tour des structures. On revient donc par différents chemins à une même position, plusieurs fois. Mais cette position n’est peut-être pas tout à fait la même, et donc cette idée de pouvoir voir la même chose plusieurs fois, mais par des angles différents, ou en tout cas en venant d’un endroit différent est captivante. Car là encore j’en reviens à Poincaré qui se demandait : « peut-on voir plusieurs fois la même chose ? ». Quand on regarde quelque chose, que la chose se déplace et qu’on tourne la tête, sommes-nous dans la même situation ? Voit-on toujours la même chose ? La réponse est évidemment non, mais dans tous les cas je pense que ça creuse encore le regard qu’on peut porter sur une chose si effectivement on a également produit une sorte de notion temporelle et spatiale dans la manière dont on est invité à la voir.
Votre approche implique que la périphérie de l’œuvre devient un élément capital. Les marges vous interrogent-elles particulièrement ?
D’une certaine manière oui. Je crois qu’il est toujours plus intéressant, quand on traite de quelque chose, de parler « autour » plutôt que de parler « sur ». Cette idée-là est assez récurrente dans mon travail. En outre, il y a vraiment, presque comme dans une notion de construction de paysage, l’idée que l’arrière-plan évidemment construit à la fois le premier plan et le sujet, et donc l’appréhension du sujet. Puis j’ai toujours aimé les choses pas tout à fait énoncées, pas tout à fait claires, achevées dans le double sens du terme, donc pas terminées ni mortes. Je me demande en fait à quel point on peut-être précis sans forcément nommer et circonscrire complètement, sans isoler ?
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Mark Geffriaud
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : Mark Geffriaud