Un "connoisseurship" incontesté, un professionnalisme sans failles : le conseiller Marc Blondeau a réussi la double gageure de guider des collectionneurs tout en restant indépendant.
Le courtier Marc Blondeau se dérobe aux clichés du marché de l’art. On le dit sentimental, « attentif sans donner l’impression de l’être », « toujours sur le fil du rasoir ». Son physique de Falstaff, revu et corrigé par le capitaine Haddock, trahit le bon vivant. Dans un monde où peu de réputations résistent au scalpel, ce grand bosseur jouit d’une notoriété sans bris ni « casseroles ».
Né dans une famille d’industriels comme il en fleurissait sous Napoléon III, Marc Blondeau est élevé par sa grand-mère russe.
De ce double atavisme, il garde une conception assez abstraite de l’argent et peut-être un côté zapoï, cette mélancolie slave qui se mure derrière le professionnalisme. Adolescent, il est plus cancre que graine d’esthète : « J’étais un bon à rien, j’ai fait 17 écoles jusqu’à ma majorité à 21 ans. Une vieille nounou m’a prêté de l’argent, j’ai acheté une camionnette. Je faisais SVP Transports. » Le galeriste parisien Christian Boutonnet (L’Arc en Seine), qui le connaît depuis les bancs du lycée, se rappelle d’un garçon réservé, « qui se protégeait ». Le « bon à rien » devenu coursier s’inscrit pourtant à
l’École du Louvre. Son regard s’ouvre sur le XIXe siècle tandis que les cours de Jean Cassou à la Sorbonne l’initient au XXe. Son sang russe, nourri de Diaghilev et de Larionov, fait le reste.
Marc Blondeau affûte sa mémoire photographique auprès de l’expert Bernard Lorenceau en 1966 avant de faire deux ans et demi de stage chez le commissaire-priseur Maurice Rheims. « Comprenant très vite qu’il ne fallait pas rester en France », il opte pour Sotheby’s New York en 1969. Son champ de spécialité court alors des romantiques à l’art moderne. Il fait ses armes dans la Grande Pomme, puis ouvre l’antenne de Sotheby’s à Los Angeles. À deux doigts de se faire débaucher par la puissante galerie Malborough, il est envoyé en 1974 à Paris par le grand manitou de Sotheby’s, Peter Wilson. À charge pour lui de créer le bureau parisien d’art impressionniste et moderne.
Chasseur dans l’âme
Son actuel associé, Alexandre Pradère, expert en mobilier, se rappelle de sa défroque de « Californien » débarquant à Paris, ses cheveux longs, son improbable cravate à grenouilles. Marc Blondeau s’attelle aussi à l’ouverture de la salle de ventes de Monaco avant de prendre en 1980 les rênes de Sotheby’s France. Après dix-huit ans de bons et loyaux services, il s’en affranchit en 1987 pour ouvrir son cabinet de conseil. Une démarche anglo-saxonne alors inédite en France. « Quand j’ai vu arriver Alfred Taubman, j’ai compris que c’était fini. Sotheby’s était devenue pyramidale, hiérarchisée. Il fallait sans cesse rendre des comptes. Avant, je voyais mon comptable deux fois par an, je faisais mon budget à vue de nez et j’avais une marge d’erreur de 5 à 10 %. Avec la formule américaine des budgets saucissonnés, on se trompait de 20 %. À un moment, on ne vendait plus d’œuvres mais des prix de réserve. L’esprit de chasse et de chine s’est noyé dans les contingences », tranche-t-il. Le mot est lâché. Marc Blondeau est chasseur dans l’âme. Sans détours intellectuels, son approche des œuvres est viscérale. « Il aime avoir un choc face à une œuvre. Il se moque du nom, de la période, du contexte. Il ne se laisse pas influencer par un article ou une publication », souligne son autre associé, Étienne Bréton. D’une sculpture des Cyclades à une œuvre de John Currin, rien n’échappe à son jugement : « Il faut faire l’effort, quitte à se tromper. L’art contemporain est un moyen de se replacer en arrière. Le sculpteur Chillida disait que tout art qui survit est contemporain. » On comprend pourquoi il se délecte dans le XIXe, véritable siècle-ascenseur, charnière de toutes les modernités. « Marc connaît parfaitement le XIXe siècle. Il ne fait pas les mêmes correspondances littéraires que moi, mais on arrive au même résultat », précise son ami, le collectionneur André Bromberg. L’acquiescement de Marc Blondeau est souvent discret. Sans prêchi-prêcha, il entrebâille des portes, révèle des connexions. « Il a un regard qui ne se trompe jamais. Marc n’est pas un “complimenteux”. S’il me fait un compliment sur l’une de mes expositions, je sais que j’ai réussi », souligne Christian Boutonnet. Sa vivacité d’esprit est toutefois desservie par une diction qui fourche parfois à la confusion. « Quand je ne comprends pas en français, je lui demande de répéter en anglais », s’amuse Étienne Bréton.
Parlant d’art comme peu de professionnels savent le faire, il ne s’effarouche pas devant les questions d’argent. « Intermédiaire entre une galerie qui défend un stock et une maison de ventes, son prix de réserve », il affiche une centaine de transactions annuelles entre 50 000 dollars (39 750 euros) et 5 millions de dollars pour un portefeuille d’une dizaine de clients. Marc Blondeau est réputé pour son fair-play dans les affaires. « Marc est très bonne pâte, mais il peut être définitif. Pour cela, il faut lui marcher vraiment très fort sur les pieds », mentionne Étienne Bréton. Réputé pour avoir formé le noyau dur des collections de François Pinault, il a aussi guidé le regard de Claude Berri. Avec ce dernier, il ouvre Renn Espace en 1991, puis le 14/16 Verneuil en 1993. Mais la casquette de galeriste lui est inconfortable : « Aujourd’hui, vous avez 25 grandes galeries dans le monde, et vous ne pouvez pas avoir le meilleur dans une galerie. J’avoue préférer les œuvres. Gérer un artiste, c’est pire que trois maîtresses hystériques ! » Sa compétence est aussi requise dans certaines opérations ponctuelles, comme la vente Dora Maar avec Piasa en 1998 ou celle d’Arp avec Calmels-Cohen en 2003. Actuellement, Paris fait plutôt figure de lieu de transit, l’essentiel de son activité étant transférée à Genève.
Marc Blondeau s’avoue trop « claustrophobe » pour être vraiment collectionneur. « J’aime faire le vide autour de moi. Il faut peu de choses sur les murs parce que ça brouille le regard. » Bien que plus secret sur ce chapitre, on devine chez lui quelques « indispensables », une aquarelle de Rodin ou des photographies de Louise Lawler. Il s’emballe parfois pour une œuvre, n’hésitant pas à la surpayer. Son registre n’est pourtant pas celui de la compulsion. En 1993, dans la vente Nourhan Manoukian, il avait acheté une tête de faune de Carriès pour 261 000 francs, dix fois son estimation. Une enchère hyperbolique en hommage à un marchand qu’il respectait. Conservée longtemps en fétiche dans son bureau, elle a rejoint les collections d’un de ses amis. « Il a résolu la question de la vanité. Le fait d’avoir touché une œuvre au passage lui suffit », estime André Bromberg. Marc Blondeau aime distiller son désir, comme le rappelle son ancien associé Philippe Ségalot : « Il a acheté une propriété en Espagne. Il a déjà les œuvres d’art et les meubles, mais la maison n’est pas encore construite. Quand il descend en vacances, il loue une maison à côté de sa propriété. Il vit au jour le jour en prenant son temps. Il sait qu’un jour il se sentira bien dans cette maison. Quand ? Peu lui importe. »
1945 : Naissance à Paris.
1969 : Responsable de la rédaction des catalogues de vente impressionniste et moderne chez Sotheby’s New York.
1974 : Directeur du département impressionniste et moderne de Sotheby’s à Paris.
1980 : Directeur de Sotheby’s France.
1987 : Départ de Sotheby’s et création d’un cabinet de conseil indépendant à Paris.
2001 : Installation à Genève.
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Marc Blondeau - Courtier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Marc Blondeau - Courtier