Dans l’illustration française dite « Jeunesse/Beaux albums », la messe est dite depuis 2004, date de la publication de Princesses oubliées ou inconnues. Depuis, tout ouvrage signé Rébecca Dautremer s’impose comme un best-seller sans que l’auteure ne cède cependant jamais à la facilité.
Croisant volontiers le fer avec ses collaborateurs (auteurs, éditeurs, producteurs) qui restreindraient son ambition visuelle, elle avance sans crainte de déplaire. L’intégrité incarnée. Celle qui explose les corsets et prouve combien l’illustration n’est pas l’apanage de la jeunesse. De ce bannissement de la médiocrité résultent des images à la puissance narrative dignes de ses confrères Carll Cneut et Lisbeth Zwerger. La force de l’artiste réside aussi dans son processus technique, hérité de sa formation aux Arts déco, doublé d’un tempérament insatiable, avide de se surprendre avant de cambrioler le regard. D’abord motivée par le graphisme et la photographie, elle a retenu de ces disciplines des principes esthétiques : un sens aigu du cadrage, de la profondeur de champ et de la lumière qui sont autant d’outils pour perfectionner ses mises en scène oniriques qui évoquent parfois Bruegel et Bosch. Grâce à des effets dosés, ses illustrations sont des daguerréotypes atemporels, capturés lors d’expéditions dans un imaginaire débridé. La boulimique exploratrice n’envisage que des destinations éclectiques et exotiques (La Tortue géante des Galapagos, Elvis). Souvent, elle réinvente les classiques en les débarrassant du déjà-vu (Cyrano, Le Journal secret du Petit Poucet), loin d’un réalisme naïf, sans maniérisme, dépourvue de mièvrerie acidulée et de bons sentiments, elle conquiert l’espace fictionnel. Si l’intention est celle d’un photoreporter, l’expression est picturale. Sur de larges surfaces de papier aquarelle, elle déploie avec une patience monacale des milliers de touches de gouache diluée à l’huile végétale. La palette est majoritairement ocre, entre l’autochrome et les peintres flamands. Le support n’est pas sacré et peut subir les grattages d’un cutter, des collages, de la poussière, pour servir l’intuition exacte de l’auteure, obsédée par la crédibilité de ses inventions. Ses images, cicatrisées, semblent revenir d’improbables périples. Son plus récent défi : illustrer la Bible. Sa prouesse : en magnifier la puissance fictionnelle et les mythes, avec l’énergie créative d’un démiurge, sans blasphèmes ni prosélytisme. Si ce n’est de faire adorer ses visions par la force de son indéniable talent. Prière de (re) découvrir.
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L’Évangile selon Rébecca
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Abonnez-vous dès 1 €Philippe Lechermeier (texte), Rébecca Dautremer (illustration), Une Bible, Éditions Gautier Languereau, 392 p., 45 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : L’Évangile selon Rébecca