Création On sait l’homme précis et minutieux, mais pas exagérément carré, heureusement.
Et pourtant, le graphiste Philippe Apeloig s’est, ici, plié à un exercice rigoureux : imaginer un modèle pour un carré de la maison Hermès, collection automne-hiver. Le résultat est élégant. Pour dessiner son motif, Apeloig s’est inspiré d’un livre de l’écrivain et sémiologue Roland Barthes, dont on fête,
cette année, le centième anniversaire de la naissance, et pas n’importe quel livre : Fragments d’un discours amoureux, paru en 1977, aux Éditions du Seuil. À l’aune de sa propre expérience, Barthes y dissèque divers états auxquels est soumise une âme amoureuse, les répertoriant par ordre alphabétique. Une sorte de bréviaire de l’amour romantique, de la frustration sentimentale aussi, qui se lit, au choix, du début à la fin ou en le feuilletant au gré du hasard. Cet ouvrage a, en outre, ceci de particulier que Roland Barthes en a conçu lui-même la mise en page, afin que la forme accompagne le sens, que la typographie épouse le propos. Sa structure, très particulière, consiste en une suite de courts chapitres ou notices, ces fameux « fragments » : de S’abîmer (Notice 1) à Vouloir-Saisir (Notice 79), en passant par Catastrophe, Exil, Jalousie, Potin ou Tendresse. Les différentes notices présentent chacune, en marge, les références que Barthes convoque pour étayer son propos. « Cette mise en page m’est apparue comme une architecture sophistiquée, faite de fragments de textes qui pourraient faire penser à un assemblage de papiers collés », explique Philippe Apeloig. Le graphiste décide alors d’effeuiller le livre entier – 290 pages – et de caviarder tous les « pavés » de texte pour les métamorphoser en blocs opaques. Une sorte de degré zéro de l’écriture – autre opus mythique de Barthes –, diraient certains. Dans le format imposé de 140 cm x 140 cm, Apeloig accomplit, pour ainsi dire, « la quadrature du texte », ordonnant de manière régulière et en suivant la chronologie de l’ouvrage 145 doubles pages et deux pages simples, les première et quatrième de couverture. L’ensemble ainsi déployé dessine une improbable et néanmoins séduisante mosaïque qui, au moment de l’impression, sera reproduite en négatif, la page blanche se déclinant en masse sombre et le texte, a contrario, en bloc clair. Le geste est, certes, minimal, mais la composition, abstraite, s’avère étonnamment rythmée, ce qui fait son attrait. On dirait un story-board en cachemire et soie… Celui d’une comédie romantique ?
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L’esthète au carré
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Dans les années 1950, la maison Hermès avait déjà fait appel à un affichiste, Cassandre (1901-1968), lequel signa les carrés Littérature et Perspective. Le carré Roland Barthes, lui, est disponible en trois coloris subtils : anthracite, prune et bleu de Prusse. Son prix : 895 euros
A savoir
Auteur de la signalétique du futur Musée du Louvre-Abou Dhabi, Philippe Apeloig, 53 ans, a déjà œuvré sur un carré. C’était au début des années 1990, lorsqu’il déclina le logo et l’identité visuelle du… Carré d’Art, à Nîmes, Musée d’art contemporain construit par l’architecte anglais Norman Foster
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : L’esthète au carré