Si les plus beaux et rares objets d’art de Côte d’Ivoire sont très appréciés, l’art classique est boudé par les collectionneurs.
Le marché de l’art africain valorise de plus en plus les pièces exceptionnelles. C’est particulièrement vrai pour les arts de la Côte d’Ivoire, collectés depuis la fin du XIXe siècle, lesquels connaissent depuis plusieurs années un tassement général des prix. En même temps, les pièces majeures battent des records. Comme dans tous les domaines collectionnables pléthoriques, en nombre comme en diversité, le marché fait le tri. « L’inégalité des prix, par exemple, pour les statuettes Baoulé peut surprendre, mais il faut comprendre qu’il en existe des milliers. La Baoulé est aux Ivoiriens ce que le crucifix était aux Français, chaque foyer en avait un ou plusieurs », explique le spécialiste Pierre Amrouche. Sans compter la production contemporaine africaine destinée à l’industrie du tourisme qui relève du folklore, mais pouvant tromper le néophyte. Quant au masque Dan, « il continue à être produit et dansé encore aujourd’hui. Il y en a une profusion énorme sur le marché », note Marguerite de Sabran, directrice du département des arts premiers de Sotheby’s France. Le masque Dan est donc devenu difficile à vendre. Provenant de l’ancienne collection Hubert Goldet (vendu 73 000 euros en 2001), un superbe et très ancien masque Dan de la collection Dennis Hotz, d’une grande force expressive et recouvert d’une épaisse croûte sacrificielle, est parti le 14 juin 2011 à Paris chez Christie’s pour 145 000 euros. C’est un des meilleurs prix pour un masque Dan dont le record plafonne à moins de 200 000 euros.
Le record pour une statue Baoulé revient à une exceptionnelle figure masculine de 61 cm de la collection Robert Rubin, collectée in situ dans les années 1920, adjugée 1,5 million de dollars (1 million d’euros), le 13 mai 2011 à New York chez Sotheby’s. Pour les masques Baoulé, on retiendra celui emblématique Kpan Baoulé de la collection Goldet datant du XIXe siècle, vendu le 30 juin 2001 à Paris par François de Ricqlès pour 1,7 million de francs (260 000 euros). Un masque Baoulé Anglo Ba de la collection Kahane s’est envolé à 983 400 euros, le 1er décembre 2010 à Paris chez Christie’s. Il avait la particularité d’avoir une esthétique moderne et universelle, propre à séduire des amateurs en dehors du cercle des collectionneurs d’art africain.
Désirs d’exception
« L’art très classique de la Côte d’Ivoire, caractérisé par un certain réalisme, ne bénéficie pas de l’amour des nouveaux acheteurs d’art africain qui sont à la recherche d’objets pouvant entrer en résonance avec l’art moderne et contemporain », remarque l’antiquaire Bernard Dulon. La tendance s’est confirmée à l’issue de la vente parisienne du 12 juin 2012 chez Sotheby’s où treize objets de Côte d’Ivoire sur les vingt-deux présentés n’ont pas trouvé preneurs. « Les amateurs d’art africain classique sont à la recherche de la pièce rare. Lorsqu’ils savent qu’ils peuvent retrouver un objet comparable dans une vente ultérieure, ils reportent leur décision d’achat », constate aussi Marguerite de Sabran. Ainsi dans la vente, une belle statue Baoulé aux réelles qualités plastiques, n’a pas trouvé preneur pour 40 000 euros. Mais un masque Bété-Guro collecté entre 1911 et 1913 par un administrateur français en poste en « pays Bété », d’une grande expressivité dans un corpus très restreint, est parti à 384 750 euros (record pour un masque Bété). Tandis que, bénéficiant de l’engouement pour l’art primitif stylisé, un beau masque Guéré aux saillies géométriques atteignait le record de 576 750 euros pour un objet Guéré. Le 13 mai 2011, toujours chez Sotheby’s, une statuette féminine Senoufo aux volumes géométriques a été emportée pour 812 500 dollars (570 000 euros), dix fois son estimation basse. Elle avait été acquise en 1983, lors de la vente de la collection Ben Haller par le collectionneur Robert Rubin pour 19 800 dollars ! Rappelons encore qu’une statue Déblé Sénoufo puissamment stylisée est montée à 2,95 millions d’euros, lors de la vente de la collection Vérité, 23 juin 2006 à Drouot. À la Biennale, on verra deux objets ivoiriens au top dans leur catégorie : un extraordinaire et très ancien masque de Cour Baoulé (prévendu) chez Bernard Dulon et une grande poulie Guro sculptée d’une silhouette féminine chez Didier Claes. « Davantage qu’une poulie, c’est une œuvre d’art et même un objet surréaliste. Sa patine croûteuse atteste aussi qu’elle a servi comme objet rituel », indique l’antiquaire belge.
« La désaffection des collectionneurs pour l’art classique de Côte d’Ivoire est injuste, soutient Pierre Amrouche. Souvent très anciennes, avec une superbe patine, répondant à des canons stylistiques assez stricts (frontalité, hautes coiffes, positions des mains…) et personnalisées par chaque sculpteur par un style propre qui constitue une signature (yeux ouverts ou fermés, nattes fines, catogan, scarifications, sexuées ou pas, sandales…), les statuettes Baoulé offrent un vaste champ de collection. Et comme les prix sont à la baisse, c’est vraiment le moment d’acheter ». C’est également l’avis du marchand Lucas Ratton qui partage avec sa clientèle un intérêt pour l’art de la Côte d’Ivoire, soit « des objets pas agressifs, intelligemment sculptés avec de grandes qualités graphiques comme la présence de scarifications, dégageant de l’harmonie et de la douceur, et donc faciles à vivre . »
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Les deux Côte d’Ivoire
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Les deux Côte d’Ivoire