Autour d’une scénographie signée par Didier Fiuza Faustino, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris s’approprie le couvent des Cordeliers en mettant à l’honneur la mélancolie énervée d’Oliver Payne et Nick Relph.
PARIS - Intitulé « Ici et ailleurs », la première exposition de l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris au couvent des Cordeliers se présente comme un condensé d’histoires. La plus immédiate est celle qui entoure ici et maintenant le spectateur. À son arrivée, celui-ci est encerclé par une ronde de gardiens exécutant la performance dansée de Tino Sehgal tout en clamant à voix haute le cartel de l’œuvre (« Tino Sehgal, This is Contemporary, 2004, galerie Jan Mott »). L’autre histoire s’inscrit dans un temps plus long, elle prend en considération l’installation temporaire d’une institution consacrée à l’art contemporain dans un lieu historique, occupée pendant la Révolution par la gauche jacobine (la Société des amis des droits de l’homme et du citoyen). Le tout résonne avec fracas dans le timbre strident et désaccordé de la cloche suspendue à l’entrée par Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla (Rights of Man Bell (Un-tuned), 2004). Le clin d’œil de l’architecte Didier Fiuza Faustino, invité à réaménager l’endroit pour une saison, est heureusement plus enlevé. Révolutions réunit deux voiles aux allures de chrysalide tendues d’un bout à l’autre du couvent et qui ménagent en leur centre l’espace de conférence du « Club des Cordeliers » (lire l’encadré).
Constitué de couvertures de survie recyclées en panneaux d’or et d’argent, le double paravent se place aisément dans la perspective de la salle, tout en la vrillant dans sa longueur. Par ses matériaux, la scénographie développe des connotations symboliques (l’expédition, le corps humain, la lutte pour la vie, la chaleur), et nourrit parallèlement un imaginaire de conquête spatiale. Une thématique visuelle qui concorde parfaitement avec 10 Minutes Transmission (2003), la seconde sculpture proposée par Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla. L’objet, une maquette de station spatiale utilisée comme une antenne, est bâtard, simultanément représentation et objet fonctionnel. Lorsque la véritable station passe en orbite au-dessus de Paris, les conversations des astronautes se font entendre dans une radio amateur. Prise dans des jeux d’échelles, la transmission renvoie au thème de l’« Ici et ailleurs » réclamé dans le titre de l’exposition.
Fière et désenchantée
Projetant leurs travaux dans deux salles ménagées au fond du couvent, Nick Relph et Oliver Payne viennent quant à eux d’Angleterre. Récompensés lors de la dernière Biennale de Venise par le Lion d’or attribué aux artistes de moins de 35 ans, les deux comparses, respectivement nés en 1979 et 1977, sont les auteurs d’une filmographie (5 courts-métrages) dont les bonnes comme les mauvaises manières tirent leur essence de la subculture anglo-saxonne issue du punk. Présentées ici, Driftwood (1999) et Gentlemen (2003) constituent deux balades londoniennes. Servie par une diction morveuse, la première joint à des plans courts et de nature documentaire un texte contestataire sur l’urbanisme. Quant à la seconde, plus abstraite et poétique, elle est tout aussi amère. Transcriptions affectives, mentales et subjectives d’une ville, les deux films font penser à des essais psycho-géographiques. Mais c’est surtout l’engagement premier et sans distance de Payne et Relph qui marque les esprits par sa justesse. Leur position est à la fois non négociable, déchue, fière, désenchantée et romantique. Elle est celle d’une jeunesse qui se fascine et fascine, et contient déjà en elle les prémices de sa nostalgie. Un sentiment terriblement situationniste. « À la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue », disait Guy Debord dans In girum imus nocte et consumimur igni.
Didier Fiuza Faustino, Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla, Oliver Payne & Nick Relph, Tino Sehgal et Francis AlÁ¿s, jusqu’au 29 février, couvent des Cordeliers, 15 rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi, 12h-20h. Catalogue, 10 euros.
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Les Cordeliers en orbite
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Abonnez-vous dès 1 €En s’installant pendant les travaux au couvent des Cordeliers, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris réactive l’esprit révolutionnaire du lieu en ouvrant une série de rencontres et de colloques, organisés tous les mardis à 18 heures jusqu’à la fin du mois de février par l’écrivain et philosophe Federico Nicolao. Le 10 février, Federico Ferrari y sera accompagné par Jean-Luc Nancy sur le thème de « L’étincelle obscure d’un sujet », et le 17 février, Alfonso Cariolato et Gianni D’Elia proposeront une conférence sur « L’image du temps ». Enfin, dans le courant du mois de février, Maja Bajevic et Tomislav Gotovac réaliseront des performances (renseignements au 01 53 67 40 00).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Les Cordeliers en orbite