PARIS
Le Petit Palais dévoile le travail hors norme d’un architecte visionnaire du XVIIIe siècle qui n’a jamais construit : Jean-Jacques Lequeu. Son œuvre est si étonnant que certains ont cru à une supercherie…
Inclassable. L’adjectif semble presque avoir été inventé pour lui. La production de Jean-Jacques Lequeu déroute en effet autant qu’elle captive. Cet œuvre singulier et foisonnant a cependant failli demeurer à jamais confidentiel. Car, de son vivant, Lequeu n’a jamais été réellement reconnu. Il a toutefois été, outre-tombe, le principal artisan de sa réhabilitation. En 1825, six mois avant sa disparition, après avoir vainement tenté de vendre ses grands albums, le dessinateur les lègue en effet à la Bibliothèque royale. Plus de huit cents pièces, soit la quasi-totalité de sa production, entrent ainsi dans le patrimoine national. Ce fonds, comprenant des projets de construction, des méthodes de dessin, des architectures utopiques, des portraits, est aujourd’hui conservé au Cabinet des estampes. Tandis que ses feuilles érotiques, parfois très crues, peuplent le célèbre enfer de l’institution. L’auteur de ces planches atypiques misait vraisemblablement sur le temps pour connaître son heure de gloire. Ce sera enfin le cas en 1949 quand l’historien de l’art Emil Kaufmann exhumera ce corpus et consacrera Lequeu comme l’un des plus grands architectes révolutionnaires, au même titre que Ledoux. Un paradoxe pour un architecte qui n’a pratiquement rien bâti !
Né à Rouen en 1757 dans une famille de menuisiers, Lequeu se forme à l’école gratuite de dessin. Repéré par ses professeurs, il remporte plusieurs prix et une bourse pour tenter sa chance à Paris. Il se présente à l’architecte Soufflot, muni de lettres de recommandation. Le constructeur du Panthéon le prend sous son aile et le fait admettre comme élève à l’Académie royale, tout en le faisant travailler comme dessinateur dans son agence. La mort de Soufflot, en 1780, marque un coup d’arrêt à cette carrière qui démarrait pourtant sous de bons auspices. Privé de l’entregent de son protecteur, Lequeu tente malgré tout de se constituer une clientèle et élabore plusieurs projets qui ne se concrétisent pas.
En 1786, il est contraint de revoir ses ambitions à la baisse en collaborant avec le neveu de son ancien patron « Soufflot le Romain » comme dessinateur mais, surtout, comme inspecteur des travaux. Il faut attendre 1793 pour qu’il décroche un poste pérenne, là encore bien éloigné de ses aspirations, puisqu’il entre comme employé de bureau au cadastre. Jusqu’à sa retraite, il ne quittera plus l’administration des travaux publics. Malgré cette relégation au second plan, Lequeu n’abandonne pas son rêve de réussir comme architecte à part entière et continue de participer à des concours, sans jamais percer. Cette obstination se double d’une production intime libérée de toute contrainte technique. Il donne libre cours à son imagination débordante dans un univers graphique décomplexé et obsessionnel où les monuments les plus originaux côtoient les portraits avant-gardistes et les dessins érotiques transgressifs.
À défaut de marquer l’art de bâtir de son temps, Lequeu sera reconnu comme un génial dessinateur d’invention au XXe siècle. Un artiste si moderne et atypique que certains ont même cru à une supercherie. En 1987, dans la première étude de fond jamais consacrée à Lequeu, Philippe Duboÿ avance ainsi que ses feuilles les plus radicales seraient en réalité une invention de… Marcel Duchamp. L’auteur argue que le père du ready-made serait intervenu sur ces dessins afin de leur donner l’étrange apparence qu’on leur connaît. Une hypothèse aujourd’hui battue en brèche par les spécialistes, mais qui en dit long sur le caractère hors norme de Jean-Jacques Lequeu.
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Lequeu, architecte « raté » mais génial dessinateur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Lequeu, architecte « raté » mais génial dessinateur