Le marché des valeurs

Elle se décline en NFT, en graphiques et en courbes actualisés en temps réel sur un site Internet, en films, en objets 2D (les “twodees”) et 3D (les “threedees”), en images et en textes générés par des intelligences artificielles… Depuis sa création il y a six ans, elle a sollicité la participation de dizaines de milliers de personnes à travers le monde, qui ont créé pas moins de 76 790 tokens. Récemment, elle était déployée sous le titre Morphogenesis of Values dans le très prestigieux Asia Society Hong Kong Center. Jusqu’au 22 janvier 2023, on peut aussi la découvrir au Grenier à Sel à Avignon, dans le cadre de l’exposition « (M)ondes parallèles ». En tout, elle a déjà été montrée dans dix-sept lieux en Europe, en Asie et en Océanie, dont le Cube (Issy-les-Moulineaux) où nous l’avons découverte. Peut-être faut-il commencer par décrire le dispositif qui en forme le socle matériel. C’est une « station de neuro-design » composée d’une élégante chaise longue, d’un écran et d’un casque EEG. Une fois vissé sur votre crâne, ce dernier permet de mesurer l’activité électrique de votre cerveau. Le but ? Vous inviter à modeler par la pensée, en huit minutes, une forme qui se donne pour la représentation d’une valeur. Amour, paix, démocratie, liberté, pouvoir… : en tout, Maurice Benayoun en a sélectionné quarante-deux – un clin d’œil au Guide du voyageur galactique. « Parce qu’elles n’existent que dans le cerveau humain, les valeurs sont symbolisées, personnifiées, divinisées de manière différente d’une culture à l’autre, explique l’artiste. Moi, je voulais quelque chose qui fasse abstraction de ce facteur culturel. » D’où des formes abstraites et dynamiques, d’apparence vaguement organique. Une fois modelée par la pensée, la valeur devient votre propriété, sous forme de NFT, et vient nourrir une base de données consultable sur le site www.v-o-v.io. Libre à vous d’en faire ce que bon vous semble : l’imprimer, la collectionner, la vendre ou l’échanger. Parce qu’elle s’inscrit dans un projet plus vaste, The Brain Factory, fondé sur l’idée qu’à l’ère de l’information, nous sommes tous des travailleurs de la pensée, VoV fait ainsi passer ses participants par toutes les déclinaisons possibles de l’activité artistique : on y est tour à tour créateur, collectionneur et marchand. « VoV est un système d’échanges complet », résume Maurice Benayoun, qui désigne ainsi l’œuvre comme relevant d’une « esthétique transactionnelle ». D’ailleurs, toutes ces données collectées depuis six ans sont accessibles sur la plateforme de trading créée par l’artiste. On y mesure en temps réel la cote des valeurs. Lesquelles s’échangent le plus, à quel prix, dans quel pays, lesquelles au contraire sont collectionnées, gardées pour soi… : dans un double processus de sublimation et de réification, VoV offre ainsi de mesurer la valeur que nous accordons à l’amour, à la démocratie, à la célébrité, à l’argent, etc. L’enjeu d’une telle saisie est bien sûr en partie critique, nous assure Maurice Benayoun, mais elle est aussi heuristique et politique : « L’œuvre prend son sens par les données, explique-t-il. Avec VoV, on essaie de mieux comprendre comment les valeurs humaines déterminent les actions des individus et des pays. Quand ça devient une évidence quantifiable, on peut se remettre en question. »