Le designer Guillaume Bardet expose à la Cité de la céramique, à Sèvres,
les 365 objets dont il a confié la réalisation à des potiers.
SÈVRES - Un peu comme on lance un défi, le designer Guillaume Bardet, 40 ans, a inscrit ces quelques mots dans un carnet : « Dessiner un objet par jour pendant une année. » Un jour, il s’est lancé. C’était un lundi, première journée de l’automne 2009. Il a couché quotidiennement sur le papier une idée – d’abord à la main, puis en la modélisant numériquement –, et ce, jusqu’au 20 septembre 2010. Puis il est passé de la 2D à la 3D et a fait réaliser les 365 pièces par une dizaine de potiers de la région de Dieulefit, village de la Drôme provençale dans lequel il vit. Cette aventure, Bardet la résume par une métaphore : « J’ai d’abord fait une traversée en solitaire, pendant douze mois, puis je suis rentré au port pour monter, cette fois, sur un énorme catamaran avec une dizaine de potiers, pour un nouveau périple d’un an. » Cette double épopée lui a réussi puisqu’elle lui a permis de décrocher, l’an passé, le prix Liliane-Bettencourt pour l’intelligence de la main – Dialogues, doté de… 50 000 euros.
Influence des saisons
Cette production, baptisée « L’usage des jours/365 objets en céramique », est aujourd’hui exposée pour la première fois à la Cité de la céramique, à Sèvres (Hauts-de-Seine). De l’ensemble du parcours, la salle la plus étonnante est à n’en point douter celle blottie sous la toiture oblongue du deuxième étage. Y sont déployées une quantité phénoménale de pièces, dans une scénographie tout en finesse signée du designer Vincent Dupont-Rougier, laquelle s’efface littéralement pour laisser place aux « œuvres ». Un regret toutefois : le dessin, acte essentiel de cette expérience, n’apparaît qu’au travers d’une vidéo dans laquelle défilent quelques pages tirées de carnets de croquis.
Guillaume Bardet dévoile ainsi son « journal intime », au fil des saisons. De cette succession d’objets, on lirait presque, en filigrane, les humeurs qui l’ont conduit à élaborer telle ou telle pièce. L’automne, il fait nuit tôt, alors Bardet dessine des lampes. L’été, au contraire, la lumière naturelle est éclatante et ses pièces s’habillent d’une blancheur immaculée. En hiver, alors que les montagnes alentour se couvrent de neige, Bardet crayonne les plats « Paysages », aux formes molles et sombres. Le designer parcourt tous les registres – forme, échelle, fonction, couleur –, mais c’est par le biais du matériau, multiple et varié : grès, faïence, porcelaine émaillée…, que la symbiose est primordiale entre celui qui dessine et celui/celle qui façonne. « Guillaume a osé réaliser des pièces que des potiers traditionnels n’oseraient jamais faire à cause des contraintes techniques », convient la céramiste Raelyn Larson, dans une vidéo en noir et blanc.
Exercice de style
Au début de l’automne 2009, on devine la mise en route difficile, les tâtonnements et les incertitudes. Puis l’évidence et la justesse. Les hasards aussi. Ou l’attention portée à un détail. On trouve des petits animaux fragiles, comme ces tasses à thé sur leurs pattes graciles. D’autres bien en chair, tel ce costaud tabouret de grès blanc. Voire des mastodontes, telles ces « Grandes formes » bizarres réalisées non plus à la main mais, exception à la règle, en usine par l’entreprise Ceralep, fabricant drômois spécialisé dans les… isolateurs électriques en porcelaine. Parfois, l’expérience donne lieu à des séries. Ainsi des « Miroirs de terre » – série qui commence mieux qu’elle ne s’achève ! –, une dizaine de modèles dont la patine métal renvoie de fantomatiques reflets. Un jour, Guillaume Bardet déniche sur Internet un logiciel d’animation japonais et, pendant les six semaines qui suivent, le « triture » à l’envi pour créer une famille d’objets à la silhouette cubiste, « Origami », conçus tels des papiers pliés. 42 jours, 42 pièces. Une autre fois, c’est une erreur de modélisation qui génère des pièces insolites, à demi finies : « Cut ». Ailleurs, on discerne la fatigue qui s’accumule, l’épuisement de la forme, voire le manque d’inspiration. En témoigne la série « Mastermind », déclinaison quelque peu « simpliste » du jeu de société éponyme.
« L’Usage des jours » est un exercice de style et, comme tout exercice de style, il a ses limites. On y trouve de la virtuosité et des culs-de-sac. Des pièces ratées, d’autres remarquables. Reste que l’ensemble est impressionnant. Dans la lumière rasante et douce de ces fins d’après-midi hivernales, la petite ménagerie de Guillaume Bardet irradie.
Commissaire de l’exposition : Jean-Roch Bouiller, conservateur des collections modernes et contemporaines à la Cité de la céramique de Sèvres
Scénographie : Vincent Dupont-Rougier, designer
Nombre de pièces : 365
Jusqu’au 2 avril, Cité de la céramique, 2, place de la Manufacture, 92310 Sèvres, tél. 01 46 29 22 00, tlj sauf mardi 10h-17h. Puis, du 29 avril au 16 septembre au Grand-Hornu Images, en Belgique, et, du 6 octobre au 31 décembre au château des Adhémar, à Montélimar, ainsi qu’à la Maison de la céramique, à Dieulefit.
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Le dessin quotidien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Le dessin quotidien