L’homme qui a mis l’art à table est décédé le 6 novembre à l’âge de 94 ans.
Vienne (Autriche). Au cœur de la rétrospective de Daniel Spoerri présentée en 2021 au Mamac à Nice, une œuvre imposante captivait le regard des visiteurs : La Chambre no 13 – une réplique réalisée par l’artiste en 1998 de la chambre qu’il occupait à l’hôtel Carcassonne à Paris entre 1959 et 1965. Chambre ou atelier, cette pièce exiguë représente le condensé de son univers créatif. Pour Spoerri, il ne s’agissait pas de recourir à des objets manufacturés, dans la tradition du ready-made duchampien, mais plutôt de créer des assemblages ou des mini-installations, des « situations d’objets trouvés », figées et extraites de leur environnement.
Avant de s’établir en France, Daniel Spoerri (né en 1930 à Galati, Roumanie) entame une carrière de danseur en Suisse, où il s’était réfugié avec sa mère en 1942. Puis il se consacre au théâtre comme metteur en scène, acteur et décorateur. C’est sa rencontre avec Jean Tinguely qui fit prendre de nouvelles directions à son parcours artistique.
En 1960, il signe le manifeste des Nouveaux Réalistes, dont les membres ont pour point commun le choix d’un art en prise avec le réel. Chacun toutefois à sa manière ; le domaine de Spoerri est celui de l’alimentation. Ses « tableaux-pièges » sont des restes d’un repas fixés sur un panneau lui-même redressé à la verticale. Ces tableaux-objets, commencés en 1960, s’adressent à la fois au toucher, au goût et à l’odorat. Ils choquent par la confusion de la nourriture et du déchet – assiettes remplies de mégots, restes de nourriture et emballages. Goût et dégoût, la poubelle se met à table (Le Repas hongrois, mars 1963).
Commence alors une production d’une richesse gastronomique étonnante, car l’artiste, inventeur du « Eat Art », met la main à la pâte. Dans le restaurant qu’il gère à Düsseldorf en Allemagne entre 1968 et 1972, il propose des menus fantasques. Les clients peuvent acquérir l’œuvre d’art qu’ils viennent de réaliser involontairement avec les restes de leur repas.
Amateur d’art participatif, Spoerri organise également des banquets, dont celui devenu légendaire qui rassemble le 23 avril 1983 à Jouy-en-Josas (Yvelines) 120 personnalités du monde de l’art. Les restes du repas – le menu fut composé d’abats d’animaux –, mais aussi les tables, nappes et la vaisselle du banquet sont enterrés dans une tranchée longue de 60 m creusée dans la pelouse. L’artiste, qui ne manque pas d’humour, baptise cette performance-installation Déjeuner sous l’herbe.
Mais l’univers extravagant de Spoerri ne s’arrête pas là. Avec ses « détrompe-l’œil », calembours visuels, il ne s’agit pas de créer un effet d’illusion mais de prendre le contre-pied du trompe-l’œil. La Douche (1961) est l’assemblage d’une peinture classique représentant un paysage alpin où coule une rivière avec un véritable robinet et un tuyau de douche. Dans Marché aux puces (hommage à Giacometti) [1961], le collage se fait bricolage, jeu d’enfant retrouvé et revu par l’artiste.
Jusqu’à la fin de sa vie, cet héritier irrévérencieux de Dada et du surréalisme déploie un imaginaire débordant. Cultivant l’imprévisible, Spoerri trouve son royaume aux Puces ou sur les chantiers inexplorés, visités en l’absence du gardien.
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Daniel Spoerri (1930-2024)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Daniel Spoerri (1930-2024)